Le projet Pyrosar propose de transformer les sargasses en biochar et charbon actif, capables de fixer la chlordécone. Les explications de Sarra Gaspard, cheffe du projet, professeure de chimie à l’Université des Antilles et directrice adjointe du laboratoire Covachim M2E*.
⃰Connaissance et valorisation : chimie des matériaux, environnement, énergie.
En quoi consiste votre projet ?
C’est un projet de valorisation des sargasses par pyrolyse. Grâce à ce procédé, les algues sont transformées en charbon actif, capable de fixer les molécules de chlordécone. On peut ensuite utiliser ce charbon actif pour limiter le transfert des pesticides contenus dans les sols vers les produits agricoles d’origine végétale et animale, et produire une alimentation plus saine !
C’est quoi, la pyrolyse ?
Ce procédé consiste à chauffer les sargasses à haute température (entre 600 et 800 °C), sans oxygène. On obtient du charbon ou biochar pouvant être activés pour obtenir du charbon actif.
Comment le charbon actif peut-il capturer la chlordécone ?
Le processus d’activation du charbon, qui utilise par exemple de la vapeur d’eau à haute température, permet de créer de la porosité, des milliards de pores à l’intérieur desquels les polluants vont se loger. La surface des pores contenus dans 1 g de charbon actif peut atteindre celle d’un terrain de football ! C’est pour cela que le charbon actif a un pouvoir de fixation des polluants très important !
Quels sont les vertus des biochars et du charbon actif qui seront épandus sur les sols ?
Les biochars et le charbon actif se dégradent moins vite que le compost. Ils retiennent efficacement et plus longtemps les molécules de chlordécone présentes dans les sols. L’intérêt est aussi pour les plantes. Grâce au charbon actif, on peut limiter à 95 % le transfert des molécules vers les tubercules ! De plus, en agriculture, le charbon possède de nombreuses propriétés intéressantes. Il fixe l’azote, l’eau, limite l’érosion…
Pourquoi utiliser les sargasses ?
Ces algues ont l’avantage d’être riches en carbone, abondantes et peu chères. En 2007, on travaillait déjà sur la turbinata, une autre algue brune abondante dans la Caraïbe. Puis, à partir de 2008, il y a eu les arrivées massives de sargasses.
Mais elles contiennent aussi beaucoup de polluants ! Comment s’en débarrasser ?
Les sargasses ont en effet une forte capacité à retenir les métaux lourds et les pesticides. Le ramassage en mer sera privilégié. Plus on récoltera au large, moins la concentration en polluants sera importante. On a prévu de mettre en œuvre un procédé de décontamination des algues (breveté par la société NST). Elles seront analysées afin d’évaluer leur innocuité. De même, dans cette étude, les biochars et charbons actifs produits seront analysés, leur impact sur la faune et la flore étudiés.
Que ferez-vous du charbon actif ?
Le charbon actif est obtenu par pyrolyse en four solaire. Il sera utilisé pour une étude pilote, en relation avec le programme Jafa. Il sera épandu sur une parcelle pilote en zone d’élevage pour la dépolluer.
Concernant le devenir des charbons contaminés, nous travaillons à la mise en œuvre d’un procédé de dépollution. La base de ce travail est la démonstration qu’il existe, dans les sols de Guadeloupe, des bactéries capables de dégrader la chlordécone en l’absence d’oxygène. Ces résultats ont été publiés dans la revue PlosOne. Le projet Pyrosar, lui, a pour objectif de limiter le transfert des pesticides vers les animaux d’élevage.
Ces derniers vont consommer le charbon contenu sur le sol et leurs excréments seront analysés. Nous envisageons de collecter des matières fécales. Et, à moyen terme, un procédé de dépollution sera mis en œuvre. Il pourrait s’agir d’un procédé par méthanisation qui permettrait aussi de produire de l’énergie.
Où en êtes-vous aujourd’hui ?
Le process fonctionne en laboratoire. Nous avons réalisé plusieurs publications scientifiques. Nous attendons la signature d’une convention entre la Région Guadeloupe et l’Université afin de démarrer le projet. Nous devrons ensuite produire ce charbon à plus grande échelle. Nous espérons une application effective de ce travail après 3 à 5 années de recherche.
Par qui est porté ce projet ?
Ce projet de recherche a été lauréat de l’appel à projet international « Sargasses » de l’Agence nationale de la recherche et est financé par le Feder. Il est porté par le laboratoire Covachim M2E de l’Université des Antilles (UA). Il implique d’autres laboratoire de l’UA, mais aussi les Inrae de Guadeloupe, de Nancy et l’Ireps de Martinique. Nous collaborons également avec la société NST qui a mis au point un four à pyrolyse solaire capable de traiter 27 tonnes de biomasse par jour !