Avec les restrictions sanitaires, les obsèques sont limitées au cercle proche du défunt, les veillées sont interdites, retardant parfois le processus de deuil. Deux psychologues nous livrent quelques pistes pour traverser cette épreuve douloureuse.
« Le deuil est un processus normal et nécessaire marqué par plusieurs étapes », commence Christine Moustapha, psychologue. Il y a le déni, la colère et la culpabilité, le marchandage, parfois l’état dépressif et l’acceptation. Cinq phases, pas forcément chronologiques, élaborées par la psychiatre Élisabeth Kübler-Ross dans les années 1960, qui varient en fonction des personnes.
Réapprendre à vivre
Depuis plus d’1 an, les restrictions sanitaires et le climat anxiogène liés à la crise sanitaire retardent le processus du deuil. « Réapprendre à vivre sans la personne, quand le Covid est toujours là, est très difficile », commente la psychologue. Le virus emporte parfois les malades de manière très soudaine. Le choc, première phase du processus, est alors plus difficile et plus long. La maladie est si brutale qu’elle peut toucher plusieurs membres d’une même famille en même temps. Les personnes endeuillées subissent les symptômes plus ou moins graves de la maladie et doivent, en plus, « faire face à la perte du proche, sans pouvoir assister à l’enterrement. La période de sidération et de déni est alors beaucoup plus longue. Et quand les émotions émergent, la colère et la culpabilité deviennent plus prégnantes », explique Christine Moustapha, qui intervient en soins palliatifs en hospitalisation à domicile.
Offrir un cadeau
Pour sortir du déni, la spécialiste propose différentes façons de « s’accrocher » aux petits plaisirs de la vie : « observer les arbres, écouter les bruits, regarder ses enfants respirer… Au début, les personnes sont en mode « survie ». Certaines ne mangent plus. Ces petites actions permettent de reprendre goût, pour passer de la survie à la vie. » Lorsqu’arrivent les questionnements (« Pourquoi est-il mort, mais pas moi ? L’ai-je contaminé ? »), Nick Dorlipo-Soupremanien, psychologue clinicienne au service HAD du CHU de la Guadeloupe, invite à user de la parole. « Il ne faut pas garder les choses pour soi, suivre une thérapie si besoin pour éloigner les pensées erronées », pour ensuite « assumer et matérialiser l’absence avec des fleurs, une stèle… » C’est ce qu’elle appelle « offrir un cadeau au mort ». Selon Nick Dorlipo-Soupremanien, les personnes qui s’investissent dans l’action humanitaire et luttent pour que cela ne se reproduise plus, « allègent un peu le fardeau de la culpabilité ».
Même à distance
Dans le deuil, Nick Dorlipo-Soupremanien rappelle la nécessité des rituels : « L’inhumation ou la crémation, c’est la matérialisation de la séparation du monde des vivants et celui des morts. La veillée, quand elle est autorisée, a aussi une fonction psychique. Le fait de répéter ce qui s’est passé est une forme de cure par la parole, pour sortir du déni. Suivre le service funéraire, se rendre sur la tombe même en visioconférence, confronte chacun à la réalité, à condition, et cela est primordial, insiste la praticienne, d’être entouré. »
Exprimer son mal-être
Ne pas assister aux cérémonies, ne pas pouvoir manifester des gestes de tendresse est très difficile, voire « impossible » pour quelques-uns des patients suivis par Christine Moustapha. « La culpabilité est décuplée. Le processus de deuil est biaisé. L’accompagnement d’un professionnel est alors, à mon sens, indispensable », annonce la psychologue. Elle a vu ses rendez-vous multipliés depuis la quatrième vague de Covid-19 en Guadeloupe. « Culpabiliser est un mécanisme de défense mis en place, car il est difficile d’exprimer ses émotions face à la disparition du proche. C’est une étape à traverser, que tout le monde ne vit pas forcément », rassure la professionnelle de santé.
Assumer ses émotions
Si certains s’expriment sur les réseaux sociaux, cela peut être une solution temporaire « sans s’enfermer dans le virtuel », préviennent les psychologues. À défaut de mieux, Christine Moustapha, privilégie le téléphone à internet, précisant que « l’interaction face à face reste le seul rapport humain valable en période de souffrance », et d’ajouter : « la communication est à plus de 80 % non verbale. » Malgré la distance imposée, le port du masque, « il est nécessaire d’accepter et d’exprimer ses ressentis. Pleurer devant l’autre, c’est une force », souligne l’intervenante en HAD. En résumé, « faire un deuil de façon normale, c’est assumer ses émotions, ses ressentis, les exprimer. Être accompagné autour de cette expression et pouvoir avancer ».
Réapprendre à respirer
Et s’il est délicat pour les professionnelles interrogées de donner des recommandations, tant le deuil est propre à chacun, elles sont unanimes sur la nécessité d’être entouré, accompagné par la famille, des amis, une association, un groupe de parole et si besoin un professionnel de santé. « À l’étape du marchandage, cette phase de questionnements qui permet ensuite d’accéder à l’acceptation, il y a souvent un état dépressif. Le psychologue aide à donner du sens aux ressentis, aux émotions difficiles à comprendre », précise Christine Moustapha qui livre un dernier conseil : « Réapprendre à respirer. Conscientiser la respiration aide à se relaxer, à aller mieux. »
Par Bénédicte Jourdier