Elle se fait appeler Lycinaïs Jean (prononcez « djine »), comme ces génies orientaux qui, c’est sûr, se sont penchés sur son berceau. Artiste sensible et authentique, elle prône la liberté comme art de vivre.
Née d’un père martiniquais et d’une mère guadeloupéenne, Lycinaïs est tombée dans la musique quand elle était toute petite. « Mon père était un zoukeur, ma mère écoutait de la soul, du RnB, de la musique américaine. Ma grand-mère m’a offert une guitare. J’ai joué dans un groupe créé par mon parrain. Alors, oui, je crois qu’on peut dire que la musique, sous toutes ses formes, a nourri mon enfance. S’inscrire dans une tradition musicale, dans la culture antillaise que mes parents m’ont transmise, a conditionné qui je suis en tant qu’artiste, en tant que personne aussi. » Pour rassurer ses parents, elle suit un parcours scolaire à même de lui procurer un « vrai métier », mais ne se passionne ni pour ses études de commerce ni de cuisine. Entre temps, le succès la rejoint et elle s’installe dans la musique comme chez elle.
Son goût des choses saines
Son rapport aux Antilles est fait de mots, d’endroits signifiants, d’odeurs et de goûts aussi, notamment celui des dombrés que sa grand-mère improvisait. « Elle arrivait toujours à faire un plat de dombrés avec ce qu’il y avait dans le frigo ! C’est surtout ça que je retiens d’elle, sa créativité culinaire ! C’est de la Guadeloupe et de ma grand-mère que je tiens le goût des choses saines. Si j’ai une bonne alimentation, c’est parce que j’ai toujours mangé des fruits et légumes et que j’adore ça. Ça ne me demande aucun effort de perpétuer ce que j’ai connu dans mon enfance. Ce n’est pas comme le sport, que je n’ai jamais beaucoup pratiqué ! Mais je m’y mets, pour ma santé essentiellement. Je viens d’avoir 30 ans, je dois me maintenir ! »
Son chemin de vie
Pour autant, rien de rigide, ni d’obligatoire, Lycinaïs cultive la liberté. Elle se donne le droit et la possibilité de choisir tout autant ses horaires que ses activités. « Je me lève quand je me lève, je dors quand je dors, je mange quand j’ai faim. Je ne m’embête pas. Je suis un électron libre dans ma vie de tous les jours. J’allume mon ordinateur pour jouer de la musique, je compose, je fais une activité qui me détend, ou rien ! Le mot important pour moi, c’est « libre ». Je considère que la liberté est aussi une hygiène de vie : faire ce qu’on veut, quand on veut. Ça rend heureux. » Le bonheur, justement, est-ce si évident de le construire, de le vivre, de le créer jour après jour ? « Être heureux, c’est le travail de toute une vie. Il y a des jours où je suis heureuse et d’autres où je le suis moins, mais c’est aussi grâce à ces jours-là que j’arrive à savourer les choses positives. C’est un équilibre. »
Pour Lycinaïs, l’amour est l’étai de cette harmonie : « Quand ça ne va pas en amour, ça ne va nulle part. J’ai un côté idéaliste, mais j’apprends à devenir plus réaliste, à prendre du recul pour mieux discerner les choses et moins agir sous l’effet de l’émotion. Être aimée et soutenue est déterminant pour ne pas perdre l’essence de qui on est, surtout dans mon métier. Je n’ai pas changé, je suis toujours aussi attentive à l’affection, la tendresse, la sincérité et l’honnêteté. »
Sa façon d’aimer
C’est d’ailleurs l’honnêteté qui l’a conduite à parler de son amour pour les femmes, qu’elle a notamment chanté en 2015, dans le titre Mwen enmé-w (2015). « Ça a été difficile pour moi de le révéler. Pas à mon public, mais plutôt à mes parents. J’ai eu envie de me libérer de ce poids-là. Que les autres aussi cessent de m’imaginer dans une vie qui n’était pas la mienne, qu’ils me voient comme je suis. Voilà le fondement de ma démarche, être honnête et faire cesser les rumeurs. C’était le mieux. » Ce coming-out relance sa carrière, lui donne un élan qu’elle n’attendait pas, porté par son public qui lui est reconnaissant d’être juste elle-même. « Les gens attendent d’un artiste qu’il soit honnête. Beaucoup de personnes se sont identifiées à moi à ce moment-là. Je n’aurais jamais imaginé que ça pourrait avoir un tel impact positif, y compris sur les mentalités. Je ne l’avais pas fait pour ça, mais j’en ai été vraiment heureuse et aujourd’hui, c’est ce que je retiens. »
La société et plus particulièrement la culture antillaise, réputée être homophobe, obligent ceux qui n’entrent pas dans les cadres à se protéger. Lycinaïs ne fait pas exception à la règle, même si son métier l’amène à passer outre et qu’elle apprend à aimer cette ouverture aux autres. « J’ai toujours été quelqu’un qui se protège beaucoup, de tout, de rien. Je suis d’un naturel méfiant. Ce que je vis a renforcé cet aspect de ma personnalité. Mais j’apprends à évoluer. »
Sa sincérité
Si Lycinaïs refuse l’idée de militantisme, elle l’incarne involontairement. « Je milite, à ma manière, pour ma propre personne. Et le faire pour moi, ça revient à le faire pour d’autres qui sont dans mon cas. Je ne pense pas que ce soit pourtant le rôle de l’artiste de porter une parole, un avis ou d’incarner des idées. Certains artistes sont un personnage sur la scène et quelqu’un d’autre dans la vie privée, ce n’est pas mon choix. Je préfère être sincère, à l’aise dans mes baskets, en accord avec moi-même, alors que d’autres protègent cette part d’eux-mêmes. Pour moi être artiste, qu’on soit un homme ou une femme, c’est révéler son intelligence émotionnelle, assumer sa sensibilité, son empathie, sa douceur, des qualités typiquement féminines. »
Que peut-on souhaiter à Lycinaïs ? « Une longue carrière. Je ne peux pas me projeter dans autre chose que ce que je fais. Rien ne me fait vibrer autant que la musique. Je rêve de tournées internationales : visiter d’autres pays grâce à la musique ! Ça nourrirait mon écriture et me ferait vibrer. »
Un parcours atypique et fulgurant !
Lycinaïs se fait connaître sur Youtube et les réseaux sociaux, où elle poste des vidéos amateurs. Elle y interprète en se les appropriant des tubes de ses artistes préférés. Ainsi en 2011, sa reprise de Patrick Saint-Éloi, Rev en mwen devient virale. Elle sort son premier single en 2014, Aimer, qui connaît un succès tant aux Antilles que dans l’Hexagone.
En 2017, parait son premier album Lycinaïs Jean qui joue entre ballades et titres pop caribéens. Elle se produit dans plus de 160 concerts entre 2018 et 2020, tantôt en assurant la première partie (Fuckly, Riddla, Misié Sadik, E.sy Kennenga, Admiral T, Black M, Érik Pédurand), tantôt en partageant la scène (Jacob Desvarieux, E.sy Kennenga, Nesly, Erik Pédurand, Princess Lover, Lorenz ou encore avec Keros-N). Elle est devenue aujourd’hui une « artiste phare de la pop caribéenne ».