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Peut-on vraiment être locavore ?

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Face à l’essor du mouvement locavore, la question de l’alimentation 100 % locale fait plus que jamais débat. Décryptage.

Loca pour local et vore pour manger, le locavore privilégie les produits alimentaires proches géographiquement (idéalement produits dans un rayon de 160 km maximum autour de son domicile). Mais, « aujourd’hui, nous sommes majoritairement « eurovores ». Nous n’avons pas assez conscience de l’intérêt de consommer local », déplore Eddy Babel, auteur guadeloupéen sur les questions de l’alimentation. Pourtant, le locavorisme fait de plus en d’adeptes. « Les consommateurs se montrent de plus en plus sensibles à une offre locale. Ils affirment donc leur attachement à la région et confèrent une dimension identitaire à leur consommation. » (1) À ces motivations, vient s’ajouter celle de l’autonomie alimentaire des Antilles-Guyane. Les opposants, les distavores, demeurent peu convaincus.

Alimentation santé

Les locavores souhaitent retrouver une proximité, « qu’elle soit géographique, sociale, économique », publie le ministère de l’Agriculture (2). « Ils entendent ainsi faire valoir la tradition (terroir), le respect de l’environnement (peu de transport), celui des producteurs (revenus et conditions de travail décents). » Développer les productions locales serait aussi un moyen de créer de la richesse locale et des emplois. Et manger local serait une réponse à nos problèmes de santé. « La plupart des aliments importés, en particulier ceux qui ont été transformés, sont responsables de notre première cause de mortalité, les maladies cardiovasculaires », dénonce Henry Joseph, docteur en pharmacie et pharmacognosie. Mais pour les distavores, consommer exclusivement local serait un poids impossible à supporter pour les cultivateurs locaux. Le locavorisme ne serait pas viable à grande échelle. Le Dr Henry Joseph n’est pas de cet avis : « Faites un rapide calcul avec les ignames cousse-couches. Celles-ci ont un rendement de 54 tonnes à l’hectare. Sur 1 000 hectares, vous récoltez donc 54 000 tonnes. Ce qui fait 54 millions de kilos d’ignames, à diviser par 400 000 habitants (la population de la Guadeloupe environ). Vous avez 135 kg d’ignames par habitant. Qui mange 135 kg d’ignames par an ? » Les pouvoirs publics approuvent, mais seulement pour les fruits et les légumes. L’autosuffisance alimentaire « semble donc réalisable (…) à condition d’optimiser l’utilisation du territoire », rapporte l’Office de développement de l’économie agricole d’Outre-mer (Odeadom). En revanche, la question de la production et de la consommation de viande 100 % locale s’avère plus délicate. « À moins d’intensifier les systèmes d’élevages ultramarins, en important davantage d’aliments (ce qui serait contradictoire en termes de souveraineté alimentaire), viser l’autosuffisance en productions animales dans les territoires ultramarins paraît donc peu réaliste », conclut l’Odeadom.

Lizin Santral, en route

Un atelier de transformation agro-alimentaire ouvrira à Anse-Bertrand (Guadeloupe), en novembre 2020. Lizin Santral, plateforme de 1 600 m2, transformera des produits agricoles bruts en produits finis commercialisables. Elle desservira prioritairement les cuisines centrales, les structures sociales et scolaires du Nord Grande-Terre. « Il s’agit de proposer aux agriculteurs de nouveaux débouchés pour leurs produits et de favoriser la consommation de produits locaux », précise la convention signée entre la Communauté d’agglomération du Nord Grande-Terre et le conseil régional de la Guadeloupe. L’objectif est bien d’augmenter la compétitivité de l’agriculture locale, une meilleure organisation de la production, la distribution et la commercialisation.

Volonté collective

Car l’importation demeure importante chez nous. « Chaque année, les départements d’Outre-mer importent près de 1,5 million de tonnes de produits agricoles et alimentaires, soit environ 1 000 euros par habitant et par an », indique l’Odeadom (2). Une importation à la hausse depuis 2010 (sauf en Guyane) et influençant notre manière de nous alimenter. « Il reste très difficile d’être 100 % locavore chez nous, parce que tout est fait pour que le consommateur se dirige vers ce qui vient de l’extérieur. Mais en réalité, notre seul frein est notre volonté. Si celle-ci devient collective, nous aurons gagné », insiste Eddy Babel. Pour les sceptiques, cesser d’importer des produits alimentaires serait un frein pour les économies des pays en voie de développement ou émergents. Argument peu convaincant pour les consommateurs. Selon un sondage Crefoc, 21 % des Français privilégient les produits fabriqués proches de chez eux. Ils n’étaient que 14 % en 2009. Une motivation éthique à laquelle le ministère de l’Agriculture répond, dès 2014, avec une brochure sur les Soutiens financiers mobilisables pour l’approvisionnement de la restauration collective en produits locaux et de qualité. Des consommateurs, locavores ou non, de plus en plus en recherche d’informations et de sécurité en matière alimentaire. Une défiance s’expliquant par les scandales alimentaires à répétitions (vache folle…), mais aussi par des alertes multiples sur la qualité nutritionnelle de certains produits. « Avons-nous vraiment le choix ? Nous sommes des insulaires. 80 % de notre alimentation provient de l’extérieur. Si pour cause de guerre, et cela a déjà eu lieu, les bateaux ne viennent plus nous approvisionner, que deviendrons-nous ? Nos aînés, locavores sans le savoir, ont pu s’en sortir. Mais nous ? », interroge le Dr Henry Joseph. 

Le saviez-vous ?

– Aux États-Unis où est né le locavorisme il y a une dizaine d’années, des restaurants proposent des menus « 100 miles ».

– Le restaurant du siège de Google a été baptisé « Le café 150 ». Tout ce qui y est servi est produit dans un rayon de moins de 150 miles.

Éduquer son palais

Comment commencer ? Eddy Babel conseille de s’approvisionner régulièrement au marché, d’avoir un petit jardin, d’apprendre à cuisiner les produits du terroir, de s’affilier à des réseaux d’agriculteurs locaux, d’éduquer son palais et de faire confiance au professionnalisme de nos compatriotes. « Il faut mettre en place des étapes collectives et individuelles. Commencer par fournir des produits seulement aux collectivités et au secteur public. Ensuite, maîtriser toutes les techniques industrielles. En parallèle, réapprendre à nourrir nos bébés avec des produits locaux. L’apprentissage du goût se fait entre 6 mois et 3 ans », recommande le Dr Henry Joseph. Le locavorisme s’étend à tous les domaines de la vie quotidienne : cosmétiques, textiles, énergie… « Tout est possible. Nous pourrions fabriquer nos vêtements avec du coton. Marie-Galante en avait à profusion ! Nous possédons des trésors et nous sommes en train de mendier, en nous rendant malade. Valorisons plutôt nos atouts exceptionnels », incite le Dr Henry Joseph.

10 %

Selon la dernière étude de l’Observatoire du Crédit moderne, 42 % des personnes interrogées, en Guadeloupe et en Martinique, seraient prêtes à payer plus cher pour un produit fabriqué localement. Mais de 10 % seulement.

1) Pascale Ertus et al, Consommation alimentaire locale : entre locavorisme et régionalisme, Hal 2018.

2) Comportements alimentaires en 2025 – Tendances et impacts, 2016.

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