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Estelle-Sarah Bulle, maman et écrivaine

Estelle-Sarah Bulle a fait une entrée remarquée en littérature. Elle se confie aujourd’hui sur son enfance, ses émotions, ses envies, sa vie de femme, de mère et d’auteure.

Elle ne passe plus tout à fait incognito à l’aéroport de Pointe-à-Pitre. Propulsée sur la scène médiatique en septembre 2018 lors de la parution de Là où les chiens aboient par la queue, la jeune femme métisse est depuis régulièrement sollicitée, photographiée, interviewée sur qui elle est, son parcours, son attachement à la Guadeloupe… Elle est née et a grandi en banlieue parisienne ? Elle est devenue « l’enfant du pays » dans un article de journal, sourit-elle, à la fois touchée et amusée. Le créole qu’elle comprend mais ne parle pas vraiment ? Un signe de différence manifeste dans l’enfance qui n’est plus qu’un détail, tout au plus une curiosité pour les journalistes. Aujourd’hui, Estelle-Sarah Bulle est écrivaine. À 44 ans, maman de trois enfants, auteure d’un premier roman, elle a quitté son travail de directrice adjointe d’un parc classé monument historique au nord de Paris, pour se consacrer entièrement à l’écriture. « Depuis l’enfance, j’ai toujours voulu écrire. J’ai attendu sans doute une certaine maturité… », retrace-t-elle. Et puis, « écrire un livre n’est pas seulement écrire. Ça commence avec tout ce qu’on fait avant, toutes les expériences que l’on a, les émotions, les envies, les rêves et aussi avec les lectures que l’on fait. Je suis d’abord une grande lectrice, c’est ce qui a forgé l’auteure que je suis aujourd’hui ». 

Un jour par semaine

C’est en 2016 qu’elle se lance dans l’aventure en passant à temps partiel, à 80 %. Officiellement, pour ses collègues de travail, elle profite de cette journée pour s’occuper de son dernier né de 2 ans. En réalité, son bout de chou est à la crèche tandis qu’elle se consacre à son projet d’écriture, « chaque lundi de 8 h 30 à 16 h 30, dès que les enfants étaient partis à l’école et jusqu’à la fin de la classe », se souvient-elle. Au bout de 10 mois de discipline, elle tient une première version aboutie de son manuscrit. S’ensuit la réponse positive de Liana Levi qui devient son éditeur, puis le succès immédiat auprès des libraires, des critiques, du public. Ce succès unanime lui a fait tourner la tête ? « Ça arrive à un moment où j’ai déjà connu d’autres choses, sourit-elle. C’est très agréable, c’est sûr, mais ça n’est pas comme si le succès me tombait dessus du premier coup à 25 ans », analyse-t-elle. Aujourd’hui, elle se dit heureuse de se consacrer entièrement à l’écriture, toujours au rythme des horaires d’école ! « À 16 h, quoi qu’il arrive je dois arrêter pour récupérer et m’occuper de mes enfants. C’est certain, très souvent il y a une frustration. J’aimerais continuer à écrire ou poursuivre une idée, mais je m’interromps et passe à autre chose. Si une idée est vraiment importante et doit rester, elle reviendra, sinon c’est que ce n’était pas si important que ça. » 

« Low tech » 

Devenue un personnage médiatique en même temps qu’elle est devenue écrivaine, Estelle-Sarah Bulle sacrifie de bonne grâce aux attentes de son compte Instagram. « Je le vois comme un outil pour mon éditeur, les libraires, etc., sinon, je ne prends jamais de photos », reconnaît-elle. Même pas en famille ? « Non plus », rit-elle. Estelle-Sarah Bulle donne spontanément la priorité au moment présent. « Je n’ai même pas de clé USB, ni d’ordinateur à moi ». Son premier roman est né sur l’écran de l’ordinateur familial, celui sur lequel ses enfants regardent des dessins animés ou jouent aux jeux vidéo.

Bonne élève

Peu importe le choix de l’outil, son plaisir d’écrire lui, remonte aux premières dissertations au collège. « J’étais très bonne élève et j’adorais la rentrée où je retrouvais mes amis après les grandes vacances en Guadeloupe, déconnectée de ma banlieue et de mon école. » Elle aimait encore davantage que la professeure de français lise à haute voix sa dissertation. Aujourd’hui, son public la lit partout en France et, notamment, aux Antilles. Une notoriété et une reconnaissance qui ont, de fait, catalysé pas mal d’émotions chez elle, faisant naître un attachement à son île encore un peu plus singulier. Elle se souvient qu’en tant qu’enfant métisse, elle se sentait proche de cette culture tout en n’y étant pas rattachée dans sa vie. Au fil des vacances en Guadeloupe elle s’est fait l’oreille au créole en écoutant son grand-père, ses oncles, ses tantes et, pendant l’année, c’est la littérature française qui occupait ses cours de lycée et d’hypokhâgne. Faire le lien entre les deux, en découvrant Texaco et les mots de Patrick Chamoiseau, en 1992, fut une première révélation intime et intellectuelle. « Ça m’a permis de comprendre qu’il n’y avait pas de hiérarchie entre les deux langues, que l’on pouvait être aussi romantique et aussi poétique en écrivant en créole qu’en français. »

Livre jeunesse

À son tour de réunir deux cultures et deux histoires, à travers les souvenirs de son personnage principal, une femme nommée Antoine qui raconte à sa nièce l’histoire familiale, et donc celle de la Guadeloupe, depuis la fin des années 1940. Des professeurs d’histoire et de français en ont même fait un de leurs supports de cours au lycée, « pour son volet historique et parce qu’il est question d’exil et de double culture, ce qui parle à beaucoup d’élèves », explique Estelle-Sarah Bulle, heureuse de cette transmission. Ce nouveau métier qui semble avoir toujours été le sien, elle en savoure et en explore tous les aspects. En janvier 2020, elle publiera un livre jeunesse et elle prépare son deuxième roman. Son mari sera sans doute à nouveau son premier lecteur et ses enfants s’habitueront à voir ou entendre leur maman à la télévision, la radio ou dans les librairies. Seule son aînée, 13 ans, n’est pas emballée par le nouveau métier de sa maman. Écrivaine, « ça fait bizarre » au moment de remplir les fiches de contact en début d’année scolaire, comparé à un papa contrôleur des impôts, une maman infirmière ou avocate. Dans les romans comme dans la vie, l’histoire familiale est ainsi faite, elle se construit autant qu’elle s’apprivoise.

Par Jean Palom

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