Le Dr Henry Joseph, pharmacognosien, a déposé le 10 février dernier un brevet qui a fait grand bruit. Son laboratoire, Phytobokaz, a annoncé une découverte mondiale, portée par Damien Bissessar, jeune chimiste guadeloupéen et le CNRS de Montpellier. L’extrait d’herbe à pic, plante bien connue de la pharmacopée locale, agit efficacement sur l’immunité innée face aux virus à ARN, et donc sur le Coronavirus.
Pourquoi vous être intéressé à l’herbe à pic en particulier ?
L’herbe à pic (Neurolaena lobata) renvoie au savoir traditionnel de la Guadeloupe depuis des siècles. L’herbe à pic et les plantes de la famille des astéracées ont été très tôt connues pour leurs qualités antivirales. Cette famille compte par exemple l’échinacée ou l’artémisia. En 2004, nous avons déposé un premier brevet sur les plantes astéracées et l’action des flavonoïdes qu’elles contiennent. En janvier 2020, alors que la covid-19 commence à se répandre, nous sommes donc forts de notre expérience de plus de 30 ans sur les plantes antivirales.
Quelle stratégie avez-vous adoptée ?
La majorité des recherches réalisées dans le monde pour lutter contre le coronavirus ont porté sur l’immunité adaptative par le biais d’un vaccin à ARN messager. Celui-ci consiste à injecter une partie du virus ARN qui code pour une protéine de surface qui est le spike S. Le système de défense de l’organisme va lutter contre cette protéine de surface en fabriquant des anticorps neutralisants. Cette immunité adaptative confère une protection plus tardive, mais plus durable, à condition que l’agent pathogène ne mute pas trop en variant. À l’inverse, l’immunité innée permet la défense de l’organisme contre les agents infectieux de façon immédiate. C’est à cette immunité que nous nous sommes intéressés, autrement dit, à la cellule hôte !
Pouvez-vous nous expliquer votre découverte ?
Le virus qui entre dans l’organisme est obligé de se fixer sur la cellule et de la parasiter pour s’approprier le matériel cellulaire et se dupliquer. La DHODH (Dihydroorotate déshydrogénase), quatrième enzyme de la voie métabolique dans la cellule, est un passage obligé pour fabriquer des nucléotides, eux-mêmes bases indispensables pour fabriquer le génome du virus. Nous avons montré qu’un extrait d’herbe à pic est capable d’inhiber cette voie, c’est-à-dire de poser un barrage infranchissable, empêchant la réplication du virus dans les cellules. Imaginez que vous partez de Basse-Terre, commune 1, pour vous rendre à Pointe-à-Pitre, commune 5. Vous passez par Gourbeyre, Bananier et Capesterre. On va faire un barrage au niveau de Capesterre, commune 4 : c’est là que l’herbe à pic va agir en inhibant la DHODH, ce qui va empêcher le virus de se dupliquer. Le virus ne pouvant pas se multiplier, il meurt.
Le brevet déposé le 10 février dernier ne concerne pas seulement le coronavirus ?
En effet, le brevet porte sur le travail méthodologique que nous avons réalisé pour montrer qu’un extrait d’herbe à pic est capable d’inhiber une enzyme indispensable dans la biosynthèse des nucléotides des virus à ARN. Cette découverte est majeure car des composés capables de cibler la cellule hôte, plutôt que le virus lui-même, pourraient inhiber un large éventail de virus à ARN, tels que la grippe, la dengue, l’hépatite C, le chikungunya, la rougeole, et tous les virus responsables des maladies émergentes.
Peut-on développer un médicament à partir de cette découverte ?
Suite au dépôt du brevet, j’ai reçu des mails de laboratoires en France, en Europe, aux USA, proposant de travailler avec nous. S’ils veulent faire des médicaments, je suis prêt à coopérer. L’herbe à pic n’est pas toxique et ses molécules actives sont déjà isolées et identifiées. Nous avons ainsi prouvé l’innocuité de cette plante et son efficacité, y compris par des observations cliniques à travers les âges. On sait cultiver l’herbe à pic et la transformer. Aujourd’hui le zèb à pik a le statut de complément alimentaire. On continue à le produire. Est-ce que ça intéresse les labos ? Je ne sais pas. Si j’ai ouvert une voie de recherche, l’herbe à pic n’est sans doute pas la seule plante à avoir ces propriétés.
Cela peut donc prendre du temps ?
Il y a deux techniques pour mettre au point des médicaments : tester des plantes par milliers en fonction d’une cible précise, inhiber une enzyme et ensuite créer des médicaments pour lutter contre une maladie. Notre cible pour le virus était la DHO. On a pu inhiber cette enzyme, on est donc capable de trouver un médicament. Mais il faut nécessairement passer par la plante. C’est difficile et c’est long. Les industriels préfèrent de loin la pétrochimie. Ainsi des chercheurs à l’Inserm se sont penchés sur la même voie de recherche que nous, mais ils utilisent des inhibiteurs de la DHODH issus de la pétrochimie. Malheureusement, ces substances sont extrêmement toxiques avec des effets secondaires.
Avez-vous la capacité de produire l’herbe à pic en quantité suffisante pour répondre à une demande accrue ?
À Phytobokaz, nous avons un objectif de santé globale. Les plantes que nous utilisons sont cultivées sans produit chimique. Ainsi dans nos cultures d’herbe à pic, nous avons planté de l’indigo qui produit de l’azote par ses racines qui vont bénéficier à l’herbe à pic. Quant à l’amertume de l’herbe à pic, elle protège les feuilles de l’indigo des chenilles. D’une manière générale, nous devons sortir de la pétrochimie qui nous fait du mal pour revenir à la nature. Je suis en discussion avec le Conseil régional. En Guadeloupe, nous possédons du foncier pour étendre la culture de plantes alimentaires, médicinales. Nous avons aussi des jeunes possédant des compétences qui pourront être valorisées. Donnons du travail à nos chimistes, ingénieurs, techniciens ! Je reçois beaucoup de propositions de soutien de la population. Il me semble important que chacun soutienne la production locale qui valorise notre biodiversité, produisant des huiles, des compléments alimentaires de qualité. Beaucoup de petites entreprises sont dans cette démarche, il faut les soutenir.