Malgré le succès du Grand bleu de Luc Besson, l’apnée reste une pratique méconnue. Un sport qui ne se pratique pas à la légère, même si certains accidents pourraient être simplement évités.
La mer est calme et le temps radieux en cette matinée au large des côtes guadeloupéennes. Antoine, apnéiste chevronné, chasse avec un ami. Après une belle apnée à 30 mètres, il remonte tranquillement pour reprendre de l’air quand arrivent cinq énormes thazards. Il s’arrête, attend leur approche. Un des poissons arrive dans sa limite de tir. C’est alors que le plongeur sent se tendre le câble qui le rattache à la surface. Sans même s’en apercevoir, trop accaparé par son poisson, il était redescendu à 30 mètres. « À ce moment-là, j’ai compris que j’avais fait une erreur car j’avais vraiment besoin de sortir la tête de l’eau », raconte l’apnéiste. Antoine remonte en s’économisant au maximum. Mais arrivé à la surface, il se met à trembler de tout son corps. Il fait ce qu’on appelle une perte de contrôle moteur, ou « samba » dans le jargon des apnéistes. Un accident neurologique dû au manque d’oxygène au niveau du cerveau. Heureusement, son équipier est là. Il le récupère et lui évite la noyade.
Un jour de chance ? Pas vraiment. Toutes les règles de sécurité étaient respectées. Antoine ne plongeait pas seul, sans quoi l’accident lui aurait été fatal. Il avait, en outre, annoncé à son binôme ce qu’il allait faire, permettant ainsi à son ami d’avoir une surveillance efficace. Enfin, ce dernier était formé pour reconnaître les signes de l’accident et intervenir. D’ailleurs, Antoine Maestracci est loin d’être un novice. Ancien capitaine de l’équipe de France d’apnée, il est actuellement président du comité régional de la Fédération française d’études et de sports sous-marins (FFESSM). Comme quoi, un accident peut arriver à tout le monde. Aucun poisson, aussi gros soit-il, ne vaut la peine de risquer sa vie. Mais quand le cerveau commence à manquer d’oxygène, il n’est malheureusement pas toujours aisé de prendre les bonnes décisions.
Un seuil critique
Lors d’une apnée, les échanges gazeux sont stoppés avec le milieu extérieur alors que les organes et les muscles continuent à consommer de l’oxygène et à produire du CO2. Plus le temps passe, plus la concentration en oxygène diminue dans le sang, tandis qu’augmente celle de CO2. Le corps se met d’ailleurs en mode « économie ». Les membres sont soumis à une vasoconstriction pour limiter la consommation en oxygène et conserver les « déchets » issus de la combustion de l’oxygène (notamment le CO2 et l’acide lactique) tandis que le cœur et le cerveau connaissent une vasodilatation favorisant les échanges. Car le cerveau est tout particulièrement sensible au manque d’oxygène. Au-delà d’un certain seuil, il se met à dysfonctionner. En résultent diverses manifestations neurologiques : diminution temporaire des capacités intellectuelles, perte de contrôle moteur plus ou moins généralisée, syncope (un des accidents les plus redoutés des apnéistes) et à l’extrême, décès de la personne.
« La syncope, en soit et si elle est isolée, n’est pas mortelle et n’a pas de graves conséquences sur la santé, explique Stéphane Pelczar, médecin fédéral de la FFESSM en Guadeloupe. Il s’agit d’une perte de connaissance qui peut être considérée comme un mécanisme de protection du cerveau. Le problème, c’est qu’elle peut entraîner la noyade qui, elle, est fatale. » D’où l’absolue nécessité de ne pas plonger seul. D’autant que ces accidents surviennent généralement à la remontée. Car c’est là que la dette en oxygène est la plus importante. De plus, en profondeur, la pression leurre notre organisme sur la quantité d’oxygène disponible. C’est donc à l’approche de la surface, avec la diminution de pression que l’accident est le plus susceptible de se produire.
Éviter l'accident
« Un des facteurs favorisant la syncope est l’hyperventilation, note le Dr Pelczar. En hyperventilant, on augmente très peu la quantité d’oxygène disponible. En revanche, on crée une dette en CO2. Et c’est justement l’augmentation du taux de CO2 dans le sang qui donne envie de respirer, avant même le manque d’oxygène. En hyperventilant, on désamorce la « sonnette d’alarme CO2 ». Le besoin de respirer se fait sentir trop tardivement et on risque l’accident. » Et l’hyperventilation ne se résume pas à ce que fait le Japonais dans le film Le grand bleu. En fait, on hyperventile souvent sans le savoir, dès lors qu’on respire au-delà du besoin physiologique.
Se faire plaisir
Autre grand facteur de risque : l’ego. L’apnée est une discipline dans laquelle on ne progresse pas en cherchant à aller bien au-delà de ses limites. Au contraire. Après une syncope, on est plus susceptible de faire des accidents à répétition car le cerveau se mettra en mode « survie » de plus en plus tôt. « Il faut toujours travailler autour des performances que l’on sait bien acquises et apprendre à connaître les signaux envoyés par notre corps, insiste Antoine Maestracci. Ne jamais chercher à se battre contre une profondeur, un copain, ou un mur dans une piscine. Il faut surtout que cela reste un plaisir. » Car après tout, le but, c’est d’aller voir (ou chasser) de beaux poissons, pas de se faire mal. Pour battre des records, il faut être encadré… et beaucoup travailler.