Partir, tout recommencer à zéro, redémarrer, enfin réaliser ses rêves intimes, ses désirs inavoués… Qu’est-ce qui pousse certaines personnes à passer à l’acte ? Comment peut-on vouloir tout plaquer ? Et ne rien regretter ?
Nous avons tous des rêves enfouis, des projets inachevés ou inavoués que l’on porte en soi avec regrets. « Le fantasme est une activité psychique importante qui peut orienter nos conduites », décrit Freud. Les fantasmes présentent un intérêt certain car ils dévoilent des désirs plus ou moins conscients. Ils sont un des ressorts de l’action. Ces rêves, désirs ou fantasmes peuvent un jour faire surface, par une prise de conscience que leur réalisation peut maintenir l’équilibre psychique ou redonner un véritable sens à l’existence. Parfois, nous pouvons avoir le sentiment de ne plus être à notre place, d’être passé à côté de quelque chose, ou que notre vie manque de sens…
L’heure du bilan
Dans ce processus psychique de « tout plaquer pour tout recommencer », on pressent une prise de conscience, comme si on regardait sa vie différemment. On plonge au fond de soi sans se raconter d’histoires. Souvent, il y a un « effet déclic », comme pour le témoignage de Sandrine (voir encadré). C’est un événement, comme le décès de sa meilleure amie, qui vient débloquer, déverrouiller quelque chose d’enfoui en elle. Cet événement peut être une rupture, un divorce, un deuil, un accident, un licenciement… Nous sommes tous confrontés à des bouleversements, des difficultés qui nécessitent une réorganisation. Et nous devons déployer des stratégies d’adaptation particulières. Parfois, il peut exister des prises de conscience sur soi-même, le sens que l’on donne à sa vie, l’heure des bilans, des remises en question qui peuvent permettre de grands changements de vie.
Affronter la réalité
Comme dans toute situation de la vie, le principe de réalité n’est pas très loin de la notion de plaisir. Le fantasme se confronte donc à la réalité : établir un plan d’action pour parvenir à la réalisation de son projet. Dans la psychanalyse freudienne, la réalité consiste à prendre en compte les exigences du monde réel et les conséquences de ses actes. Autrement dit, lorsqu’on décide de tout plaquer pour partir vivre à l’autre bout du monde, encore faut-il avoir quelques économies pour la réalisation de son projet !
Il ne s’agit pas de quitter un travail dans lequel vous ne vous épanouissez pas pour rester sur votre canapé devant la télévision dans un état psychique figé et de procrastiner. Il faut donc admettre l’existence des renoncements nécessaires (vivre loin de ses proches, quitter ses commodités, faire des économies, reprendre ses études, quitter un conjoint…). Car il n’est pas non plus question de vouloir être dans la fuite et l’évitement de situations de vie difficiles ou de confondre « recommencer sa vie à zéro » avec « fuir la vérité et la réalité ».
En effet, très souvent les personnes qui plaquent tout et ne regrettent rien sont celles qui se confrontent à une réalité en amorçant un nouveau projet de vie avec des objectifs à atteindre. Les écueils de la vie peuvent donc permettre de se réinventer, d’entreprendre, de puiser en soi afin de trouver les ressources nécessaires pour réaliser ses rêves. Tout plaquer pour recommencer sa vie… Oui, mais en allant au bout de ses projets. Le monde appartient à ceux qui rêvent trop !
« Je n’étais pas heureuse dans ce rôle d’avocate. »
J’ai toujours aimé, étant petite fille, cuisiner. Je rêvais d’ouvrir un restaurant, de passer mes journées dans une cuisine à créer de nouveaux plats et donner du plaisir aux autres.
Hélas, j’ai choisi une autre voie professionnelle pour faire plaisir à mon père avocat qui voulait que je reprenne le cabinet avec lui. J’ai donc obtenu mon diplôme avec brio et j’ai repris le flambeau familial. Une route déjà tracée pour moi. Un matin, mon téléphone a sonné. C’était la mère de ma meilleure amie m’annonçant que Sophie était décédée d’un AVC, dans la nuit. J’ai pris conscience, à ce moment-là, de la fragilité de la vie, et que nous devons réaliser nos rêves tant qu’il en est encore temps. Ce deuil fût très difficile à vivre. Je me sentais comme obligée d’ouvrir les yeux sur ma propre vie.
Ma carrière était devenue trop stressante et chronophage. Je n’étais pas heureuse dans ce rôle d’avocate. J’ai donc repris mes études à 33 ans. J’ai quitté le cabinet et je me suis réorientée vers un baccalauréat professionnel dans l’hôtellerie. J’ai pris des cours de cuisine, et là je me sentais enfin moi-même ! Aujourd’hui, je viens de réaliser mon rêve. J’ai ouvert un petit bistrot parisien avec mon compagnon, je suis très heureuse et épanouie dans ma cuisine. J’ai tout plaqué et sans aucun regret !
Sandrine, 37 ans
Mandy Coubard, psychologue clinicienne
(article paru en juillet-août 2015)