Ils ont créé la surprise, coiffant tous les autres candidats vaccin anti-Covid-19 sur le poteau. C'est la première fois qu'on utilise cette technique vaccinale, et à une échelle d'une ampleur inégalée. De quoi susciter des questions…
Pourquoi parle-t-on tellement des vaccins à ARNm ?
Depuis début 2020, la planète est en proie à une pandémie de Covid-19. Originaire de Chine, elle a fait plus de 100 millions de malades et tué près de 2 millions de personnes dans le monde. Jusqu’au mois de novembre 2020, il n’existait aucun moyen de s’en protéger, en dehors de l’isolement physique. Le 9 novembre 2020, soit seulement 10 mois après que la Chine informe le reste du monde de l’existence de la maladie, l’alliance germano-américaine Pfizer-BioNTech annonce les résultats de ses essais cliniques de phase 3. Son candidat vaccin affiche une efficacité record de 90 % ! Une semaine plus tard, le laboratoire Moderna renchérit avec une efficacité de 94,5 %. Les deux vaccins, rapidement autorisés aux États-Unis et en Europe, utilisent une nouvelle technique, celle de l’ARN messager (ARNm).
Qu'est-ce qu'un ARNm ?
Il s’agit d’une molécule impliquée dans la transcription de l’ADN. Toutes les cellules de notre organisme renferment, dans un compartiment central appelé le noyau, de l’ADN (acide désoxyribonucléique) ordonné sous forme de 23 paires de chromosomes distinctes. Ces longues molécules sont constituées de la succession de motifs chimiques répétitifs, qui fonctionnent comme un code. Ce code renferme l’ensemble des « recettes » pour fabriquer toutes les protéines utiles au fonctionnement de notre organisme. Mais chaque cellule n’a pas besoin de fabriquer toutes les protéines, et n’utilise que les recettes utiles à un moment donné. Elle fait donc des copies des fractions d’ADN qui correspondent à ces protéines utiles. Ce sont les ARNm qui, une fois sortis du noyau, seront lus et traduits en protéines.
Quel est le principe de ces vaccins ?
La vaccination consiste à mettre notre corps en contact avec un succédané de l’agent pathogène pour que notre système de défense immunitaire apprenne à le reconnaître et fabrique des agents destructeurs spécifiquement destinés à l’éliminer. Les vaccins sont en général constitués du microbe entier (mais atténué ou inactivé), ou d’un fragment typique du microbe. Un vaccin à ARNm contient, lui, l’ARNm qui code un fragment du virus. Dans les vaccins anti-Covid-19, il code la protéine qui hérisse la surface du virus Sars-Cov-2 et qui lui sert de clé pour entrer dans les cellules humaines. Cet ARNm sera traduit par la cellule en protéine, que le système immunitaire apprendra à identifier.
Est-ce la première fois qu'on fait un vaccin à ARNm ?
Oui. Cela fait une quarantaine d’années que des chercheurs travaillent sur des vaccins à ARNm. Plusieurs candidats ont été fabriqués et testés sur l’homme pour lutter contre la grippe, la rage, le zika et les cytomégalovirus. Mais il ne s’agissait que de tests de petite échelle. C’est donc la première fois qu’un tel vaccin passe des essais cliniques de phase 3, est commercialisé et utilisé sur une large population.
Qu'est-ce qui a permis qu'ils sortent si vite ?
Un concours de circonstances. Dans les années 1990, de gros progrès sont réalisés dans la recherche sur les vaccins à ARNm. Dans les années 2000, la technologie commence donc à être testée sur des virus de maladies émergentes, comme certains coronavirus qui ont déjà provoqué de petites épidémies. En 2019, elle est mûre. Et quand la Covid-19 émerge, début 2020, les laboratoires Moderna et BioNTech Pfizer sont dans les starting-blocks. La publication de la séquence ADN du virus début janvier permet de fabriquer les premières doses qui sont testées dès février. Les différentes phases d’essais cliniques (1, 2 et 3) se succèdent et même se chevauchent dans les mois qui suivent. Avec une rapidité inédite.
Que veut dire « efficace à 90 ou 95 % » ?
Les essais cliniques (essais sur l’homme) de phase 3 ont été menés sur plusieurs dizaines de milliers de personnes saines. Les volontaires sont séparés en deux groupes, l’un recevant le vaccin et l’autre un placébo. On recense ceux qui présentent des symptômes dans les 7 jours suivant la deuxième injection et qui sont testés positifs à la Covid-19. Ils sont 90 % moins nombreux dans le groupe vacciné.
Ces vaccins peuvent-ils modifier notre génome ?
Les ARNm sont des agents à faible durée de vie : une fois utilisés, ils sont détruits par la cellule. Ils ne pénètrent jamais dans le noyau où sont gardés les chromosomes. Par ailleurs, si nos cellules sont équipées pour faire des copies (transcrire l’ADN en ARNm), elles ne savent pas faire l’inverse (faire de l’ADN à partir d’ARNm). Les seuls capables de le faire sont des virus à ARN (comme le VIH) qui, eux, possèdent les enzymes pour rétro-transcrire leur ARN en ADN. Encore faudrait-il que de tels virus soient présents dans la cellule au moment de la vaccination, et que l’ADN s’intègre dans le génome à l’endroit précis où il pourrait être transcrit… Un scénario jugé extrêmement improbable par les spécialistes.
Ces vaccins contiennent-ils des nanoparticules ?
Oui. La grande difficulté des vaccins c’est de trouver le moyen de les emballer. Sans protection, ils seront en effet détruits par l’organisme avant d’atteindre une cellule. Il faut également leur donner le moyen de les faire entrer. Ils sont donc enveloppés dans des nanoparticules. Ce terme compliqué désigne seulement une bille de taille nanométrique (milliardième de mètre). Les nanoparticules des vaccins à ARN sont faites de lipides (de la graisse). Comme la membrane de nos cellules est également constituée de lipides, quand une nanoparticule entre en contact avec elle, leurs enveloppes fusionnent et c’est ainsi que l’ARNm se retrouve à l’intérieur. Un processus naturel qui ne permet pas de localiser des personnes ni de leur injecter des puces électroniques comme cela a été faussement affirmé.
Présentent-ils d'autres risques ?
Jusqu’ici, peu d’effets secondaires ont été identifiés en dehors des classiques de la vaccination : rougeur au point d’injection, fatigue, maux de tête, douleurs musculaires, frissons ou fièvre. Des cas rares de blessure au point d’injection, d’arythmie ventriculaire, de lymphadénopathie, de paralysie de Bell (une paralysie faciale) et de réactions allergiques ont été rapportés. Et ils se sont tous résorbés. Il est cependant possible que d’autres effets secondaires soient identifiés après la vaccination de millions de personnes dans le monde, notamment à plus long terme.
Les vaccins à ARNm sont-ils l'avenir ?
Ils sont peu chers à produire et rapides à adapter à divers virus, notamment des virus qui émergent rapidement à l’occasion d’une pandémie. Les vaccins à ARNm pourraient donc devenir une arme cruciale pour nous protéger contre de futures épidémies.
L’avis des spécialistes
Selon le Dr Françoise Douady, médecin généraliste à Fort-de-France, membre du collectif Alliance santé Martinique, le terme de « vaccin » n’est pas approprié. Il s’agit plutôt d’une thérapie génique comprenant un ARN messager injecté pour apporter une information à visée immunogène qui va permettre de développer des anticorps. C’est une nouvelle technologie pour laquelle beaucoup de questions sont légitimes. « L’information génétique envoyée dans l’organisme n’est pas humaine mais d’ordre viral et, aujourd’hui, les conséquences de cette information génétique à moyen et long termes sont inconnues. C’est la première fois qu’une telle méthode est utilisée. Les essais de thérapies géniques de cette nouvelle technologie sont en cours depuis plus de 10 ans. Ils ne seront pas validés avant fin 2022/début 2023. » Et, selon le collectif, « au-delà d’être une avancée novatrice, les vaccins anti-Covid-19 à ARN messagers sont une solution parmi toutes les solutions thérapeutiques existantes à ce jour. Mais ils ne sont pas la solution miracle ».