Au cœur de la zone économique et industrielle de la Guadeloupe, résiste un petit bout de nature. Une zone humide de 200 hectares, sous la responsabilité du Conservatoire du littoral, qui a entamé, depuis 2020, un diagnostic pour mieux la protéger.
Rendez-vous est pris avec Jérémy Amiot, agent du Conservatoire du littoral de la Guadeloupe, dans la zone économique de Jarry, derrière le bâtiment d’une grande enseigne. À peine de l’autre côté de la route, commence l’aventure. L’agent du Conservatoire du littoral et sa collègue Magalie Daco, avancent en tête, sur un tapis végétal instable imbibé d’eau. Les pas sont hésitants, même pour des naturalistes aguerris. Le milieu fermé, peu fréquenté, reste difficile d’accès.
Espèces envahissantes
Difficile d’imaginer que parmi les plus de 2 000 entreprises* implantées dans la zone de Jarry, se cache une zone humide de 200 hectares. Et pourtant, elle est là, derrière le béton, le bitume et les indénombrables panneaux publicitaires, visible depuis certains axes routiers, lorsqu’on prend le temps de l’observer. Une zone souvent méprisée, polluée par le dépôt de particuliers sans scrupules ou les eaux usées des industriels.
Sous la responsabilité du Conservatoire du littoral de la Guadeloupe depuis 2010, l’établissement public a lancé en 2020, un diagnostic global de la forêt marécageuse et de la mangrove. « La zone humide de manière générale n’est pas en bon état écologique. Nous retrouvons beaucoup d’espèces communes et d’espèces exotiques envahissantes », explique l’agent du conservatoire.
Animaux rares
Comme eux, plusieurs spécialistes se sont rendus sur place. Nicolas Moulin, entomologiste attaché honoraire du Muséum national d’Histoire naturelle de Paris a installé des pièges à insectes en saison sèche et humide. Son constat est plutôt positif. « Il y a pas mal d’insectes liés au bois mort, comme des scarabées. En milieu ouvert, on a même vu un petit papillon très rare, le Chlorostrymon lalité, et du côté du centre équestre plusieurs papillons de nuit habituellement peu visibles. »
L’entomologiste explique ces résultats par le bon état de l’habitat aérien, végétal et herbacé. Contrairement à l’habitat aquatique pollué en « hydrocarbures et en métaux lourds par endroits ». Très peu de mollusques et de crustacés, ont été relevés. La biologiste en milieu aquatique, Marion Labeille, a identifié « deux espèces locales. Des tarpons et des juvéniles, des dormeurs a priori, et des poissons exotiques » de type guppy.
Premier inventaire
Pour avancer jusqu’à leur objectif, une prairie de fougères, Magalie et Jérémy visent les troncs d’arbres avec une préférence pour les contreforts du mangle médaille. Une espèce emblématique de ce genre de milieu, encore très présente, surnommée « sang dragon » pour sa sève rouge, et surtout très pratique pour s’y accrocher lorsque les jambes s’enfoncent, parfois jusqu’au bassin !
Seul le bruit permanent des voitures rappelle l’activité économique voisine. La forêt semble préservée, mais elle n’en reste pas moins fragile. Les résultats de cette étude permettront d’établir « un état zéro » puisque « c’est le premier inventaire naturaliste complet réalisé depuis l’expansion de Jarry » dans les années 1970, précise Jérémy Amiot. Le Conservatoire espère « améliorer l’état écologique et hydrologique de la forêt marécageuse et de la mangrove, valoriser le site par l’aménagement d’un sentier permettant de limiter l’expansion urbaine et industrielle », résume l’agent, en « maintenant la continuité écologique ». C’est-à-dire, assurer le déplacement des espèces autour des axes routiers.
Occupation illégale
Ici, comme dans la plupart des zones humides, l’urbanisation grignote du terrain. À Jarry, « 27 ha sont occupés sans titre par des entreprises ou par des privés », regrette Jérémy Amiot. Il précise que déjà « 65 ha ont été perdus entre 1950 et 2017, selon une étude de 2019, de l’Office national des forêts. Le Conservatoire du littoral travaille à la libération de ces zones depuis 2016, en rencontrant les occupants et en favorisant un accord de retrait à l’amiable ».
Plusieurs solutions sont envisagées : le retrait direct et total, ou le retrait progressif sur plusieurs années via une convention d’occupation temporaire qui fixe les conditions à respecter et dans laquelle l’occupant s’engage à réfléchir à une stratégie de recul pour sortir complètement du domaine public maritime affecté au Conservatoire. Objectif : protéger les zones humides qui nous rendent de nombreux services. En effet, elles limitent les inondations, servent de refuge à de nombreuses espèces, contribuent à l’amélioration de l’eau, participent à la réduction du réchauffement climatique et sont de véritables remparts contre les aléas climatiques, nombreux aux Antilles.
*Selon l’association du Grand Jarry.
Par Bénédicte Jourdier