Mis en lumière par des applaudissements au cœur de la crise sanitaire, les soignants sont des héros ignorés. Particulièrement, les jeunes. Comment ont-ils affronté cette épreuve ? Témoignages.
« La vie au service de réanimation, c’est comme en famille. Il y a beaucoup d’entraide et de connaissances partagées. » Cela pourrait sembler cliché, mais à voir les yeux pétillants de Mauro, on sent sa sincérité. Diplômé de l’Institut de formation des soins infirmiers (IFSI, Pointe-à-Pitre, Guadeloupe), c’est le premier poste du Moulien de 26 ans. Fraîchement arrivé en juin dernier dans un service au cœur de la crise Covid, le jeune infirmier diplômé a tout de suite été adopté par ses pairs. Son expérience y est sans doute pour quelque chose : « C’était comme une formation en alternance. Nous avons eu sept stages tout au long des trois années. » En cumulé, cela représente 60 semaines sur le terrain ! Son calme et sa maturité impressionnent. Des qualités fondamentales dans un milieu anxiogène.
« La vie au service de réanimation, c’est comme en famille. Il y a beaucoup d’entraide et de connaissances partagées. »
Mauro, 26 ans, infirmier au CHU de la Guadeloupe
Garder son calme
En débarquant dans le service des urgences des Eaux Claires pour son stage de dernière année, Mauro essuie la première vague de Covid. Nous sommes en mars 2020. « Ça bougeait beaucoup. C’était très technique, donc on améliorait vite notre dextérité », se souvient-il. Mais quel apprentissage ! « Face aux premiers patients Covid qui affluaient, j’ai appris à être sûr de moi, rapide et surtout calme ! » Les circonstances mettent souvent à l’épreuve. « Je me souviens d’un patient qui était en désaturation d’oxygène (baisse du taux d’oxygène contenu dans le sang, NDLR). Son état a entraîné un delirium (état de confusion, NDLR) pendant lequel il était très agité et résistait beaucoup à la prise en charge. Même si je suis calme de nature, ce n’était pas évident de rester concentré, car on peut se faire insulter, voire taper ! » Expérience profitable, mais qui n’empêche pas les difficultés inhérentes au métier maintenant qu’il est au CHU de la Guadeloupe.
Tristesse et colère
« Depuis mon embauche, j’ai perdu plusieurs patients. Ce n’est pas évident, car on tisse des liens avec eux au fil du temps. » Des patients à qui Mauro parle lors des soins, même s’ils sont dans le coma. Des liens avec la famille également qui lui rappelle de prendre soin de son proche et de réussir à le sauver.
« Ce n’est pas facile, car ils nous font confiance et quand un décès survient, on se sent mal »
Mauro, 26 ans, infirmier à Pointe-à-Pitre
« J’ai à la fois un sentiment de tristesse et de colère de n’avoir pu éviter le pire malgré les efforts quotidiens. », ajoute-t-il le visage grave. « Nous avons une cellule d’aide psychologique à l’hôpital. Dans mon cas, ce sont mes collègues plus expérimentés qui m’entourent et sont très présents pour m’aider à relativiser. »
Il faut évacuer
À côté de cela, il faut savoir gérer la charge mentale. « Je fais beaucoup de randonnées, je promène mon chien, je cuisine et fais même le ménage ! » Il rit. « Tout cela m’occupe l’esprit et me permet d’évacuer. » Soucieux pour son avenir avec cette pression continue ? Non. « Je suis un passionné. Être infirmier est une vocation ! »
« On n’est pas préparé à ça »
Pour Chloé, 24 ans, c’est le même métier et la même passion. Mais aussi le même poids des (lourdes) responsabilités sur ses jeunes épaules. Infirmière au service Hospitalisation à domicile de la clinique de Choisy (Le Gosier, Guadeloupe), elle arpente, depuis le mois d’avril, les rues de Pointe-à-Pitre de 6 h 30 à 19 h, au chevet des patients dont elle a la charge. « Le mois d’août avec la quatrième vague a été très difficile. Très très difficile… », dit-elle songeuse. La crise sanitaire avait déjà apporté son lot de bouleversements : réalisations de tests PCR, gestion de masques et extracteurs d’oxygène, peur de la contamination.
Les voir mourir sous tes yeux
« Un travail à la chaîne exténuant et les gens qui mouraient, tombant comme des mouches », s’insurge-t-elle. Car l’aspect psychologique n’était pas des moindres. Perdre sept patients dans une si courte période a été très difficile émotionnellement.
« Quand on exerce en HAD, c’est totalement différent du milieu hospitalier classique. Tu vas chez les gens, tu t’adaptes à leur mode de vie, tu t’attaches à eux. C’est dur de les voir mourir sous tes yeux ! » Et d’ajouter : « On n’est pas préparé à ça. C’est sur le terrain qu’on découvre ce qu’on peut supporter ou pas. »
Chloé, 24 ans, infirmière au service Hospitalisation à domicile de la clinique de Choisy. Le Gosier, Guadeloupe
À la limite du burn-out
Comme pour Mauro, difficile de respecter la juste distance professionnelle recommandée par la profession.
« On est au plus près de la famille. Il faut répondre à ses questions, gérer les incompréhensions, réconforter, essuyer les larmes. Cela me demande beaucoup d’énergie. »
Chloé, 24 ans, infirmière au service Hospitalisation à domicile de la clinique de Choisy. Le Gosier, Guadeloupe
Énergie qu’elle n’a plus pour elle. « Je donne tant qu’à la fin de la journée, je suis vidée, KO ! » Il faut dire que même de repos, Chloé continuait à penser à ses patients et à prendre de leurs nouvelles. À la limite du burn-out, elle a refusé de sombrer : « J’ai été, heureusement, très entourée de mon père et mes frères. L’animation à la maison, les discussions m’ont beaucoup aidée à me changer les idées et prendre du recul. » Et puis, Jocelyne Béroard est passée par là : « Je me suis découvert une passion pour le karaoké. J’adore chanter Pa bizwen palé entre autres chansons locales et internationales. » Elle semble plus détendue. La magie de la musique combinée aux bains de mers nocturnes, passage obligé et quotidien pour se laver de la pression accumulée toute la journée, y sont sans doute pour quelque chose.
Par BŌNi