Enterrer le cordon ombilical est une pratique traditionnelle que l’on retrouve dans de nombreuses cultures. En Guadeloupe, comme ailleurs, ce rite de naissance symbolise l’attachement de l’enfant à ses racines et une volonté de le protéger des forces maléfiques.
« Sé la lonbrik an mwen téré [1]. » Ils le clament tous haut et fort dans leurs chansons. Admiral T, Milflè ou Zagalo (lonbrik a kilti a’w téré adan péyi a’w[2]), la revendication publique de l’enterrement d’une partie de son cordon ombilical est un signe de fierté et d’appartenance. La portée de ce rite ancestral est forte. Sur un plan médical, le cordon ombilical est l’organe qui relie l’embryon puis le fœtus au placenta. Il lui permet de survivre dans le ventre de la mère, lui apportant notamment de l’eau, différents nutriments et de l’oxygène. Ce lien fonctionnel a également une valeur symbolique.
Arbre de vie
Selon Patrick Solvet, spécialiste des traditions et ancien chargé de la culture à la ville de Sainte-Anne : « À l’époque, pour poursuivre la continuité de ce lien, on remettait au papa un bout du cordon ombilical dans un bocal ou du coton qu’il allait enterrer. » Les gestes sont toujours les mêmes, se souvient le passionné : « Tu creuses un trou, ajoutes du fumier, déposes le cordon entouré de coton pour mieux sécher et le recouvres de terre avec le plant d’un cocotier. » Car s’il existait quelques dérogations à la tradition avec des plants d’oranger, le cordon devait être enterré avec un cocotier : « C’est l’arbre de vie par excellence ! Un symbole d’abondance et de prospérité qui donne à boire et à manger. » De l’avis de la psychanalyste et docteure en sciences humaines Hélène Migerel, « le cocotier est l’arbre-roi, quasi indestructible [qui] confère un rôle de protection, de conservation de la santé [de l’enfant]. »
Symbole
L’expérience de Gerty, 89 ans, est différente. D’abord, c’est son cordon séché (qui s’est détaché après 2 semaines) qu’on a enterré. Autre distinction, le rituel a été réalisé avec un plant de canne « derrière la maison familiale », aux Abymes. Pour renforcer le symbole, « depuis petite, on me faisait arroser le plant, en prendre soin pour le voir pousser. C’était sacré à l’époque ! », s’émeut-elle. La pratique de l’enterrement du nombril remonte à l’époque de l’esclavage. Patrick Solvet a pu observer cette tradition chez ses amis caribéens qu’ils soient « de Martinique, Sainte-Lucie ou Haïti ». C’est une manière de fortifier le lien parents/enfants/terroir. « Cette tradition scelle ton ancrage à ton patrimoine, ta culture, ton environnement sur un territoire », explique le défenseur de la culture guadeloupéenne.
C’est également le sens de la démarche du grand-père de Joëlle, 44 ans, qui a élevé sa petite-fille : « Enterrer mon nombril sur son terrain montrait son amour pour moi et l’appartenance à la famille. C’était mon arbre et j’ai même eu l’occasion de boire son eau. J’étais contente. » Un rite qui concernait indifféremment toutes les couches sociales de la population. Car si la docteure Hélène Migerel y voit un « monde rural plus attaché au rituel du fait de la proximité avec l’élément terre et des croyances y afférant », Patrick Solvet, 58 ans, se remémore que « les urbains demandaient à leurs parents de la campagne [de pouvoir enterrer le nombril] ». Lui-même, né à Calvaire (Sainte-Anne, Guadeloupe) est le dernier né d’une fratrie de huit enfants. « Tous nos nombrils sont enterrés sur le terrain familial », déclare-t-il avec fierté. Fouillant dans ses souvenirs, il se rappelle que son père lui a parlé de son lonbrik téré peu avant ses 10 ans. « Je n’avais pas conscience de la chose. J’ai juste pris acte. On n’avait pas la curiosité d’aujourd’hui. » Mais il ajoute qu’à force d’en entendre parler dans la famille, d’assister aux rites d’enterrement de nombrils, « c’est répétitif donc on finit par être interpellé et fortifier » sa prise de conscience du symbole.
Ancrage
L’avis d’Hélène Migerel est plus nuancé : « Quand [le nombril] est enterré, l’enfant sait qu’il a un lien avec l’arbre, une partie de lui le côtoie. Il ne s’en occupe pas particulièrement, mais l’évoque comme un repère, un ancrage à la terre qui est sienne. » Cependant, la pratique a eu tendance à disparaître. « Les modifications de l’habitat, l’absence de transmission, ont atténué ce rite du nombril enterré qui commence à susciter un intérêt auprès des jeunes générations », remarque la docteure en sciences humaines. Patrick Solvet concède ce nouvel engouement, mais y voit davantage un effet de mode qu’un vrai retour à des valeurs fondamentales comme le respect de la structure familiale.
[1] C’est là que mon nombril est enterré.
[2] Le nombril de ta culture est enterré dans ton pays.
Par Boni Kwaku