Marie-Anne Orsinet Florimond, professeure des écoles à l’école du Pré-Saint-Gervais (93), enseigne depuis 10 ans le bèlè, une danse traditionnelle de Martinique. Cette pratique lui sert à apaiser ses élèves touchés par la situation sanitaire. Rencontre.
Comment la danse devient-elle un outil d’apaisement face au climat anxiogène ambiant ?
Le Covid a fait exploser les repères comportementaux. Je sens beaucoup plus de tensions, de troubles de la concentration, d’hyperactivité. Apprendre le bèlè, c’est danser devant ses camarades, assumer leur regard, se tromper, lutter pour apprendre un pas. C’est donc gérer ses émotions et s’exprimer sans conflit. Ils apprennent à canaliser leur énergie.
Leur souffrance est-elle profonde ?
La pandémie a entraîné une grande insécurité. Mes élèves sont dans une angoisse permanente à me demander : « Maîtresse, est-ce que ma tante va mourir ? Est-ce que tu vas tomber malade ? Est-ce que tu as des nouvelles de X ou Y ? »
Le bèlè est une danse traditionnelle de Martinique avec de grands mouvements où on utilise tout son corps. En quoi peut-elle aider vos élèves à se libérer du stress ?
C’est une danse codifiée. Je m’appuie sur cela pour leur inculquer des valeurs d’écoute, de respect des règles. Mais aussi de solidarité et de bienveillance par rapport à l’histoire de cette danse, symbole d’entraide entre les paysans à la fin du 19e siècle. Il n’est pas question de se moquer de son camarade qui réussit moins bien ou moins vite. À une époque où on nous demande de nous tenir à distance de l’autre, de nous en méfier et d’être masqué, le bèlè nous enseigne des valeurs humanistes. Les élèves s’amusent quand ils se mettent en colonnes et dansent tour à tour en binôme en avançant vers le joueur de tambour. L’ambiance est joyeuse. Mais cela reste un cours avec une discipline à respecter.
Le bénéfice est-il général ?
Tout à fait ! J’ai observé que les élèves répercutent ces apprentissages dans leur comportement en classe. Quand un petit camarade est en difficulté, ils savent se montrer sensibles et lui venir en aide. Ou, quand un adulte s’adresse à eux, ils savent être respectueux. Car le bèlè enseigne le respect des anciens.
Observez-vous un changement dans leurs comportements ?
Oui, je le vois à la récréation où ils courent moins. En classe aussi, leur posture est différente. L’attention est plus facile à avoir. La danse est un vrai exutoire. L’expression libre (même guidée) leur permet de découvrir leur corps, d’entrer en résonance avec lui. Les danses de tambours sont énergisantes et les enfants y sont particulièrement sensibles. Que je travaille avec de la musique enregistrée ou, quand c’était possible, avec un musicien et son tambour, les enfants vibrent. Ce sont des éponges. Ce moment d’expression corporelle leur permet de se libérer de leurs angoisses.
L’initiation à cette danse traditionnelle est-elle aisée ?
C’est progressif. Il y a d’abord la phase de découverte où les élèves se familiarisent avec la musique, les instruments, les voix. Puis dans notre salle audiovisuelle, je leur montre des vidéos de danseurs. Enfin, le moment qu’ils attendent le plus : la pratique ! Nous dansons chaque semaine dans le gymnase municipal ou la salle polyvalente de l’école. Sans chaussures et foulards à la taille pour les filles !
Et ça marche vraiment ?
Absolument ! Tout le monde adore ! Depuis 10 ans, mes ateliers de bèlè entrent dans le cadre d’un projet pédagogique transversal de 7 semaines qui touche autant l’éducation physique et sportive, l’histoire, la géographie que l’éducation morale et civique. L’inspectrice de circonscription a été emballée dès le début, et y a vu un bel espace d’expression pour les enfants. J’aime transmettre et c’est un privilège de pouvoir semer de petites graines. On apprend aux enfants à faire fi des différences. Ils découvrent une autre partie du patrimoine français. Cela me rapproche d’eux, car je suis leur « maîtresse qui danse les pieds-nus ».
La danse-thérapie, qu’est-ce que c’est ?
En danse-thérapie, la prise de conscience et l’expression de soi sont visées pour être renforcées. Il n’y a pas d’apprentissage. Comme la danse-thérapie ne repose pas sur la performance, il n’y a pas d’échec et tout le monde en retire des bénéfices singuliers : le corps devient l’instrument qui apprend à être bien dans sa peau. Dans la danse-thérapie, les pratiquants souhaitent réveiller leur énergie, redécouvrir le plaisir de la danse, de la convivialité. Pour la plupart, le corps se transforme, devient léger, dynamique et joyeux. On se libère de tensions et de blocages inscrits dans la mémoire du corps.
Sur le plan physique, la danse-thérapie améliore la circulation, la coordination et le tonus musculaire. Sur le plan mental et émotif, elle ravive les capacités intellectuelles et la créativité. Elle permet de rencontrer des émotions parfois difficiles à exprimer verbalement (colère, frustration, sentiment d’isolement). Enfin, la danse-thérapie est particulièrement indiquée chez les personnes inhibées. Son efficacité a aussi été reconnue dans les hôpitaux. Elle aide les malades à retrouver l’estime de soi.
Par Boni Kwaku