En réussissant l’exploit de courir la distance du marathon en moins de 2 h, le Kényan Eliud Kipchoge a brisé une frontière qui semblait inaccessible à un humain. Décryptage en trois points de ce record controversé.
1. Une performance « stratosphérique »
Samedi 12 octobre 2019, devant 120 000 Viennois subjugués, Eliud Kipchoge offre une performance qui semblait impossible il y a encore peu de temps : courir les 42,195 km d’un marathon en moins de 2 h, soit 1 h 59 min et 40 s. Cela représente 2 min de moins que son propre record du monde de la distance (2 h 01 min 39 s). Soit une allure affolante de plus de 21 km/h. Essayez de courir juste 3 min à ce rythme pour prendre la mesure de ce chrono irréel ! Aux Antilles-Guyane, rares sont les coureurs capables de le suivre. Les meilleurs coureurs français, y compris notre champion d’Europe en titre du 10 000 m, abandonneraient avant le 12e kilomètre, asphyxiés… À ce moment de la course, Kipchoge, lui, se « balade » dans la foulée de ses lièvres, à plus de 30 km de la ligne d’arrivée. « Aujourd’hui, en l’espace de 2 h, nous sommes tous allés sur la Lune », s’enthousiasme Eliud Kipchoge, une fois la ligne d’arrivée franchie. À ce titre, il vient d’être élu meilleur athlète mondial 2019 de l’IAAF (International Association of Athletics Federations) pour ce record du monde pourtant non homologable par la Fédération internationale.
2. Un pari fou
L’objectif de cette course était de tout mettre en œuvre pour rendre possible la conquête de cette barrière mythique. Un marathon couru par un homme seul, avec une équipe de chercheurs dédiés au projet appelé « Inéos 1 : 59 », financé par Jim Ratcliffe, un milliardaire, patron du leader mondial de la pétrochimie, Inéos. Tout simplement l’homme le plus riche du Royaume-Uni ! Il n’a pas hésité à mettre 20 millions d’euros sur la table pour le voir aboutir et assouvir son rêve de marathonien amateur. Et rien n’a été laissé au hasard.
3. Un bon challenger
Déjà recordman du monde de la distance (2 h 01 min 39 s) depuis 2017, champion olympique 2016 du marathon, Eliud Kipchoge est tout sauf un inconnu. Il est considéré par beaucoup comme étant le plus grand marathonien de tous les temps. À 18 ans, il devient champion du monde junior de cross à Lausanne avant d’établir un chrono ahurissant de 12 min 52 s 61 sur 5 000 m, réalisé en finale des championnats du monde d’athlétisme de Paris en 2003. Dans cette course d’anthologie, il s’impose au sprint face à deux légendes de l’athlétisme, Hicham El Guerrouj et Kenenisa Bekele. Un petit junior inconnu battant en même temps le recordman du monde du 1 500 m et le recordman du monde du 5 000 et 10 000 m. En 2013, il passe sur marathon et gagne huit des neuf marathons sur lesquels il s’aligne. Il présente tous les atouts physiques et mentaux pour cette distance. Il a encaissé pendant de nombreuses années des semaines d’entraînement à plus de 200 km.
Qu’en penser ?
Incontestablement, courir un marathon en moins de 2 h reste une performance stratosphérique ! Il faut néanmoins relativiser puisque ses chaussures lui ont offert un avantage indéniable. Il faut prendre aussi en considération l’apport conjugué du parcours ultra-plat, l’effet d’aspiration des lièvres, l’allure d’une régularité impossible à avoir en compétition classique, une alimentation et une hydratation parfaitement maîtrisées. Autant de facteurs qu’il n’aurait pas pu avoir au départ d’une course classique. Et de surcroît, bien qu’il ait été contrôlé à l’arrivée, Eliud Kipchoge n’a jamais fourni son suivi médical pendant toute la phase de sa préparation. Quel que soit son talent, cela paraît incroyable de « voler » pendant 2 h à plus de 21 km/h. Et ce, sans jamais montrer le moindre signe de fatigue, avec une facilité déconcertante et un ultime kilomètre bouclé à plus de 22 km/h, en saluant la foule venue assister à son exploit. De quoi semer le doute dans les esprits…
Bruno Coutant
Professeur de sport au Creps Antilles-Guyane