Au cœur de l’épidémie de Covid-19, des centaines d’enfants dans le monde ont présenté des symptômes évoquant un syndrome rare, la maladie de Kawasaki. Les autorités sanitaires et les médecins appellent à la vigilance, et cherchent un lien éventuel entre les deux affections.
Le 26 avril 2020, le service national de santé britannique (NHS) tire la sonnette d’alarme. Deux jours plus tard, l’hôpital Necker, à Paris, appelle également à la vigilance. Dans ces deux pays, mais aussi en Italie, en Espagne, ou encore en Suisse, des médecins signalent une augmentation du nombre de jeunes malades présentant des symptômes comparables à la maladie de Kawasaki en pleine pandémie de Covid-19. Mais qu’est-ce que cette maladie ? C’est une maladie rare, décrite pour la première fois au Japon en 1967 par le pédiatre Tomisaku Kawasaki. « Elle touche essentiellement les très jeunes enfants, généralement de moins de 5 ans, décrit Véronique Atallah, cardiopédiatre, praticien hospitalier au CHU de la Guadeloupe. Elle se traduit par une fièvre importante (supérieure à 38,5 °C), qui dure plus de 5 jours, des rougeurs aux yeux, des ganglions dans le cou, des lèvres crevassées avec une langue rouge, des lésions de la peau surtout au niveau des mains et pieds. »
Caillots sanguins
Son incidence est très variable selon les pays. Le Japon reste le pays le plus touché, avec 200 cas pour 100 000 enfants chaque année, ce qui est 10 à 20 fois plus que dans les autres pays industrialisés d’Europe et d’Amérique du Nord. En France, l’incidence annuelle atteint 5 cas pour 100 000 enfants de moins de 5 ans. On recense une dizaine de cas chaque année en Guadeloupe, environ 5 cas en Guyane. Les enfants d’origine asiatique sont deux à trois fois plus touchés que la moyenne, ce qui suggère une influence génétique. La maladie s’apparente à une artérite, c’est-à-dire une inflammation des vaisseaux sanguins. Or celle-ci peut toucher les artères qui irriguent le muscle du cœur, les artères coronaires. Dans certains cas, on voit apparaître un anévrisme (une augmentation de la taille des artères coronaires). Cela favorise la formation de caillots sanguins. Dans un cas sur 1 000 environ, ces complications entraînent la mort. L’origine de cette maladie est une énigme. On n’a trouvé à ce jour aucun virus, aucune bactérie, aucun pathogène qui provoque l’inflammation des tissus. L’hypothèse privilégiée est un emballement du système immunitaire suite à une infection (rhume, grippe) passée plus ou moins inaperçue dans les semaines précédentes. Un des éléments diagnostic est effectivement la présence de molécules de l’inflammation en quantité importante dans le sang. C’est d’ailleurs en calmant l’inflammation que la maladie se soigne, avec une perfusion d’anti-inflammatoires (immunoglobulines et corticoïdes) et de l’aspirine. Ce traitement améliore l’état de l’enfant assez rapidement et réduit le risque de complications sur les artères du cœur. En l’absence de traitement, environ 20 % des petits malades auront des complications cardiaques. Ce chiffre passe à 5 % avec le traitement.
Trois fois plus de cas
Fin avril 2020, la direction générale de la Santé annonce avoir recensé, en France hexagonale, 135 jeunes souffrant de symptômes proches de la maladie de Kawasaki. C’est-à-dire à peu près trois fois plus que ce qui devrait s’observer à cette période. L’inquiétude monte quand on apprend qu’un de ces enfants est décédé des suites de la maladie à l’hôpital de la Timone, à Marseille. La plupart de ces patients ont été infectés par le Sars-Cov-2, où proviennent d’une région où le virus circule fortement. Mais de quoi souffrent-ils exactement ? Une des hypothèses est qu’il s’agirait d’une complication de l’infection, souvent chez des enfants qui n’ont même pas présenté de symptômes. La Covid-19 semble, en effet, perturber fortement le système immunitaire de certains malades. « Les cas graves de Covid-19 se caractérisent par une réaction inflammatoire excessive, décrit Anne Goffard, virologue à l’université de Lille. Cette phase inflammatoire arrive bien après que le virus a disparu du système respiratoire des malades. » Environ la moitié des enfants ayant développé ce syndrome inflammatoire ressemblant à la maladie de Kawasaki ont dû être placés en réanimation. La plupart des cas se sont produits en Île-de-France, mais quelques-uns ont été recensés dans le Grand-Est et la région Paca, des zones particulièrement touchées par la pandémie de coronavirus. « En Guadeloupe, il nous a semblé voir un peu plus de cas de maladie de type Kawasaki que d’habitude, indique Véronique Atallah. Mais impossible de faire des statistiques sur de si petits nombres de cas, d’autant que notre région a été peu touchée par la Covid-19. »
Nos médecins en alerte
Dans le monde, environ un millier d’enfants ont été touchés par ce qui a été appelé le syndrome inflammatoire multisystémique lié au coronavirus (MIS-C). C’est cette complication qui a conduit les médecins à appeler à la vigilance. Les médecins antillais se sont sentis particulièrement concernés, car les récentes études montrent que si les cas de MIS-C sont rares (deux cas pour 100 000 personnes de moins de 21 ans), la maladie semble plus fréquente chez les enfants noirs, hispaniques ou d’origine indienne que chez les enfants blancs. Les premières études ont tenté de démêler les liens entre la maladie de Kawasaki et le syndrome MIS-C. La différence est d’autant plus difficile à établir qu’il n’y a pas de diagnostic définitif de la maladie de Kawasaki. En l’absence de pathogène ou de cause identifiée, seul un faisceau d’éléments cliniques permet de poser le diagnostic. Mais le tableau clinique présenté par les jeunes malades pendant la pandémie a des particularités. Une grande majorité d’entre eux (80 %) présentent notamment des troubles intestinaux (douleurs abdominales, nausées, vomissements ou diarrhée). Or, ce trait apparaît rarement dans la maladie Kawasaki. Autre différence, les enfants atteints par le MIS-C montrent une inflammation plus intense et sont nettement plus âgés (13 ans en moyenne, contre environ 2 ans pour les malades de Kawasaki). « On a évoqué la maladie de Kawasaki parce que les symptômes présentent des similitudes. Mais les éléments actuels laissent à penser que ce ne sont pas les mêmes maladies », insiste le Dr Véronique Atallah. La vigilance reste donc de mise, mais sans panique. Les cas restent rares. Dans nos régions, aucun malade n’a évolué de manière défavorable. La grande majorité des enfants, qu’ils aient été touchés par l’une ou l’autre des maladies, est en train de récupérer et pourra certainement, comme leurs prédécesseurs, poursuivre une vie normale. Même les cas les plus graves, qui gardent comme séquelle un anévrisme (dilatation des vaisseaux du cœur), peuvent vivre normalement, avec un traitement sur le long terme et un suivi cardiaque.