Comment étaient les fêtes de Pâques antan lontan ? Hector, Edgar, Yvelle, Lucienne, Maryline, Philippe et Jean ont bien voulu nous confier leurs plus beaux souvenirs.
« À l’époque, on ne campait pas »
Petite, j’étais toujours très impatiente d’aller à la mer pour Pâques, avec mes 5 frères et sœurs. À l’époque, on y passait la journée, mais on ne campait pas. Maman préparait du colombo de crabe ou des dombrés au crabe. On s’installait sur la plage sur des nattes ou des draps de plage et les enfants jouaient dans l’eau. On mangeait sur des tables et chaises d’appoint. Cette journée était placée sous le signe de la famille et de la convivialité.
Yvelle, 49 ans
Le dombré crabe d’Yvelle
Il faut acheter une grappe de crabes de terre vivants. Durant 1 semaine, on les nourrit uniquement d’aliments sains : piment, fruits, canne, eau… Puis on les pique au couteau entre les yeux et la bouche et on sépare le corps en 2. On nettoie le crabe en brossant la carapace et on l’assaisonne avec du citron, de l’ail, du sel, du poivre et du piment. Pendant 20 min dans un faitout avec de l’huile, on fait revenir des cives, persil, thym, oignons et des petits salés (lardons, queue de cochon ou viande de bœuf). Enfin, on ajoute les dombrés. On recouvre d’eau pour faire bouillir et on laisse épaissir à feu doux. Un délice !
« Marinad, sé sa ki bon ! »
Pâques a toujours été une période de jeûne où il faut assainir le corps. Après le carnaval, on entre en Carême et on ne festoie plus. On ne mange plus de viande. Alors, on consommait du poisson. Les enfants qui avaient l’habitude de chasser des oiseaux au lance-pierre, se mettaient à pêcher les ti lapias dans les mares. Pour le Vendredi Saint et le samedi Gloria, nos grands-parents faisaient des marinades de malanga. Les enfants partaient dans les quartiers en tapant sur des casseroles avec des bâtons en chantant « Marinad, sé sa ki bon » ! Et ils passaient de kaz en kaz pour recevoir des marinades. Le dimanche de Pâques, nous pique-niquions à Bwa Jolan. Après la période sainte, nous faisions beaucoup de cueillettes de fruits dans les bois : goyaves, mangues, surelles, surettes, cocos secs… et les enfants confectionnaient des cerfs-volants. On se servait de papier journal, de fil à coudre (ou de sacs de jute défilés) et de la glue des arbres.
Edgard, 59 ans
« Refaire le chemin de croix avec des toupies »
Pâques 1948. J’avais 10 ans. Nous habitions un village perdu dans le mitan de Marie-Galante, l’Étang Noir. Toute la semaine qui précédait le dimanche pascal, je jouais avec les garçons du coin, à « piquer Judas », une simulation du sacrifice de Jésus, faire et refaire le chemin de croix… avec des toupies ! Il fallait avoir une bonne toupie, fabriquée par le charron du coin, à laquelle on tenait particulièrement, en bois de goyavier, de citronnier, de savonnette. Nous déterminions ensemble le parcours du calvaire, il fallait qu’il se termine dans un « quatre chemins », symbole de la croix. Le jeu consistait à déterminer quelle toupie allait commencer à jouer le rôle de Judas. Elle était mise au sol et tous les autres joueurs devaient s’acharner sur elle en essayant à la fois de la piquer tout en la faisant avancer vers son Golgotha, c’est-à-dire le « quatre chemins ».
Hector, 83 ans
« Bien habillés pour la messe »
Nos parents nous achetaient de beaux vêtements pour aller à la messe du dimanche de Pâques. On attendait impatiemment nos belles tenues. Je me souviens bien d’une très jolie robe blanche avec des passants à fleurs que j’adorais. On se rendait à l’église Saint-Jules de Pointe-à-Pitre, qui n’existe plus. Après la messe, on recevait des petits gâteaux. Le lundi de Pâques, on allait à la plage en famille et maman cuisinait les meilleurs plats : colombo, matété et calalou de crabe. Les enfants se baignaient et jouaient aux cartes, à la pioche, à la marelle, à cache-cache et faisaient des châteaux de sable. Je suis nostalgique de l’esprit d’antan.
Lucienne, 94 ans
« Un monstre dans l’œuf ! »
Pour Pâques, j’allais avec mes grands-parents à la plage de Ravine Pont à Capesterre-Belle-Eau. On ne campait pas en ce temps-là. Mon grand-père annonçait le départ : « Nou kay an pati. » Il élevait beaucoup d’animaux et ma grand-mère préparait le colombo avec du poulet frais, des aubergines, pommes de terre et concombres du jardin. Parfois, on partait aussi à la rivière, pêcher des écrevisses ou chercher des burgots pour faire du blaff. Une légende courait sur le Vendredi Saint. L’œuf pondu par la poule ce jour-là ne devait pas être consommé mais gardé à part dans un placard. Parfois jusqu’à l’année suivante ! La légende dit qu’une personne ayant couvé l’œuf sous son bras avait donné naissance à un monstre qui se cachait sous son lit.
Maryline, 74 ans
« En chars à bœufs »
À partir du mercredi des Cendres, le respect du culte, de la discipline et de la vie spirituelle faisait son retour. Les enfants devaient respecter les grandes personnes et rendre des services sinon nous étions punis par le diable ! Le lundi de Pâques, c’était fête ! Nous partions en famille sur les charrettes à bœufs jusqu’à la Baie du Moule. Entre enfants, on jouait aux osselets avec des petites pierres, noyaux, graines ou bourgeons de goyave.
Philippe, 96 ans
« Sacs de jute en guise de draps de plage »
Mes plus anciens souvenirs datent de l’âge de 4-5 ans. Pour Pâques, nous partions tôt le matin en chars à bœufs, depuis la campagne de Morne-à-l’Eau vers la Baie du Moule. Celle-ci était bordée de raisiniers et de cocotiers. Les colombo et calalou de crabes étaient au rendez-vous. La Pointe à Rez était une région alors infestée de crabes de terre qui se cachaient dans les champs de canne et que nous attrapions à l’aide de boîtes à crabe (réalisées avec les boîtes en bois contenant de la morue salée) ou de pièges confectionnés avec un morceau de canne retenant une boulette de terre ou un objet rond. Sur la plage, on s’asseyait sur le sable sur des sacs de jute ou des draps cousus à partir des sacs de farine de froment que nos mères gardaient précieusement.
Jean, 76 ans
Par Barbara Keller