Ce sont des manipulateurs hors pair, dénués de sentiments. Difficiles à repérer, les pervers narcissiques savent plaire et briller en société. Qui sont-ils vraiment ?
Les gens me trouvent extrêmement sympathique, brillant, bienveillant, altruiste, élégant. Je jouis d’une position sociale confortable. Le mec parfait quoi ! Avec moi, les gens se sentent en confiance. Ça tombe bien, j’ai besoin d’eux pour exister. Mon objectif : les dominer, les écraser pour me sentir supérieur, pour nourrir mon égo. Mes armes : la manipulation, la dissimulation, la séduction et le mensonge.
3 à 10 %
On estime que 3 à 10 % de la population est concernée par ce trouble.
2/3 d’hommes et 1/3 de femmes.
Je sème le doute
Je choisis ma victime. Une femme intelligente mais fragilisée par un problème passager. L’animal blessé, une proie si facile. J’ai un flair hors pair pour la repérer. Elle a besoin d’amour et de reconnaissance. Je vais m’attacher à combler ses manques, entrer dans ses fantasmes. Lui dire qu’elle est belle, que plus rien ne compte sauf elle. Je peux aussi me faire passer pour vulnérable, prendre une mine de chien battu. Et attirer dans mes filets la femme maternelle, dévouée, la sauveuse. Très vite, elle tombe amoureuse. Un amour irrationnel, total. Elle est rapidement persuadée qu’elle ne peut plus vivre ni respirer sans moi. Elle est fascinée. J’en profite pour l’éloigner de son entourage qui ne lui apporte rien. De façon insidieuse, je commence mon travail de sape. Petites phrases assassines, culpabilisation, dévalorisation, messages contradictoires, sous-entendus… Je sème le doute dans son esprit avec délectation. Je prêche le faux pour savoir le vrai. Je lui assène que tout ce qui arrive est de sa faute, retournant habilement les situations. Un homme la regarde dans la rue, elle a forcément tout fait pour attirer son regard. C’est de sa faute si je l’ai trompée… De toute façon, je suis incapable de me remettre en question. Je suis dénué de sentiment, d’empathie pour ma victime. Elle est mon objet, ma marionnette.
Le saviez-vous ?
C’est le Dr Paul-Claude Racamier, psychiatre, qui a le premier défini la notion de perversion narcissique en 1986. Il la décrit comme une capacité à « se faire valoir au détriment d’un objet manipulé comme un ustensile ou un faire-valoir ». Il prévient : « Il n’y a rien à attendre de la fréquentation des pervers narcissiques, on peut seulement espérer s’en sortir indemne ».
Imprévisible
Et si ma victime montrait des signes de résistance, je pourrais devenir dangereux. Car quand je me sens en danger, je suis imprévisible. Je la pousserais dans ses retranchements, n’hésitant pas à créer des mises en scène, à exercer une pression grandissante. Je viendrais l’attendre à la sortie du travail, lui téléphonerais jour et nuit, la menacerais. Je la pousserais à la dépression, à la folie, au suicide même. Et partirais en quête d’une nouvelle proie.
« Il m’a fait passer pour folle »
J’ai vécu 7 ans avec un pervers narcissique. Il était très intelligent, très beau, très sportif. Je suis tombée amoureuse de lui. Il faut dire qu’il a tout mis en œuvre pour me séduire. Il a perçu en moi la fragilité (j’étais en deuil, je venais de perdre le père de ma fille). Ses petites phrases dévalorisantes sont longtemps passées inaperçues. Il me répétait : « Tu es complètement folle », « tu es matérialiste ». C’était dit avec tellement de douceur que j’ai réellement commencé à me poser des questions. Puis, je me suis mise à déprimer, à perdre pied. Il plaçait la barre de plus en plus haut pour que je ne puisse jamais l’atteindre. Mes amis m’ont poussée à consulter une psychothérapeute. Quand il s’est senti en danger, il a été plus loin, il m’a fait passer pour folle. Il a même porté plainte contre moi pour harcèlement. J’ai fait des crises de tétanie. J’ai fini en psychiatrie à la clinique de l’Espérance. Il était ravi. J’ai fini par me rendre compte. Je me suis aussi rendue compte qu’il entretenait des relations avec une dizaine d’autres femmes. J’ai compris qu’il était vide et se nourrissait des autres, comme un vampire. Qu’il était capable de tout. J’étais sa bouée de sauvetage. Il n’a pas eu de père. Et sa mère, infirmière, travaillait de nuit. Il s’est construit seul. Il a beaucoup manqué d’amour. Alors dans son schéma, c’est lui la victime. Même aujourd’hui, j’ai encore beaucoup de mal à me remettre de cette relation.
Barbara, 43 ans
3 questions à France-Lise Vitalis, psychothérapeute
Quelle est la cause de ce trouble ?
Au delà de son apparence sympathique, agréable, sociable, séducteur, il y a un homme en souffrance avec une estime de soi défaillante, un égo abîmé qui entraîne une quête de valorisation qu’il trouve en écrasant l’autre. Les pervers narcissiques ne sont pas conscients de faire mal parce qu’ils ne sont pas capable de voir la souffrance de l’autre. Ils ne savent pas faire autrement pour exister. Cette faille narcissique est souvent due à des carences affectives dans l’enfance où ils ont dû développer des moyens de survie psychologique.
Quelle thérapie pour un pervers narcissique ?
Il est rare de les voir en consultation car ils considèrent ne rien avoir à se reprocher. Le pervers narcissique est incapable de se remettre en question. S’il accepte de consulter un thérapeute conjugal pour accompagner sa femme, c’est pour la convaincre de l’incompétence du professionnel afin de ne plus y retourner ou pour l’enfoncer elle et lui prouver que c’est elle qui à des problèmes, non lui.
Quelle thérapie pour la victime ?
Les dégâts psychologiques et émotionnels sont énormes. On les ramasse à la petite cuillère. Le travail thérapeutique sera long, basé sur l’écoute des souffrances, un travail de déculpabilisation, de ré-institution de la confiance en soi. Un travail sur les peurs. La victime a souvent peur d’en attirer d’autres. En psychothérapie, j’utilise plusieurs techniques dont l’analyse transactionnelle (analyse de la façon dont on communique avec l’autre), l’hypnose et la programmation neurolinguistique (travail sur la confiance en soi, l’estime de soi) et l’écoute. Cette thérapie est indispensable pour la victime.