Synonymes de souffrance, les urgences médicales peuvent être difficiles à vivre. Cela n’excuse pas l’incivilité de certains patients. Rappelons les bons réflexes à avoir, face à un personnel de santé éprouvé par un système en crise et 2 ans de pandémie.
« On a très fréquemment des menaces de mort ! », déplore le Dr Jean-Marc Pujo, chef du service des urgences en Guyane. Les violences verbales et physiques rythment le quotidien des professionnels de santé du service des urgences. « On a l’impression que la population a oublié à quel point le personnel a beaucoup donné pendant la pandémie. » « Certains viennent pour des bobos. Ils ne comprennent pas que le cas d’une personne victime d’un AVC ou d’un membre arraché est plus urgent. Un patient énervé est même revenu mettre un couteau sous la gorge d’un de mes collègues », témoigne un urgentiste de Guadeloupe qui préfère rester anonyme. Depuis, pour garder une certaine distance, il travaille en musique, un écouteur dans une des deux oreilles. « Certains relativisent. Les équipes font preuve de résilience, mais il y a un turn-over assez fort », admet Delphine Delta, cheffe du service des urgences du CHU de Guadeloupe. « Il y a des jours où ce n’est pas évident. On est des humains, et nous aussi, on a nos soucis que l’on met de côté pour se donner au maximum. »
Urgences vitales
Le problème, c’est l’attente, jugée trop longue par les patients. « Mais les urgences ne sont pas un service de fast-food », résume, agacé, le Dr Yannick Broust, chef du service des urgences du CHU de Martinique. « Ce service a vocation à s’occuper des urgences qui nécessitent une prise en charge immédiate, lorsque le pronostic vital d’une personne est susceptible d’être engagé », rappelle le médecin. Rendez-vous donc aux urgences pour toute douleur soudaine et intense, accident pouvant entraîner des complications (fracture, brûlure, coupure) ou tout symptôme inquiétant (diarrhée sanglante, violents maux de tête, signe de malaise ou d’AVC, forte fièvre, gonflement, difficulté respiratoire…). « Les urgences sont perçues comme étant un accès facile à des soins médicaux et c’est d’autant plus vrai en Guyane où l’on manque d’accès aux soins avec une population qui n’a pas de couverture sociale », regrette le Dr Jean-Marc Pujo, chef des urgences du Centre hospitalier de Cayenne.
Attente inévitable
Si les médecins travaillent vite, jusqu’à sauter des repas, l’attente reste inévitable. Car à leur arrivée, les patients doivent être tous diagnostiqués selon cinq classifications cliniques, pour ensuite être dirigés dans les services adaptés. Sachant qu’un examen dure minimum 10 min, et que les services d’urgences reçoivent en moyenne 30 personnes par jour, il faut alors 5 h pour recevoir tout le monde. Et la réalité, explique le chef du service du Samu de Guadeloupe, Patrick Portecop : « C’est qu’aux urgences, se mélangent les urgences vraies et les urgences dites ressenties. » La mission reste alors de recevoir « tous les patients dans un délai cohérent », continue le chef du service d’aide médicale urgente de Guadeloupe. Et pour cela, les professionnels expliquent faire de leur mieux dans des conditions pourtant difficiles, avec un manque de personnel, mais surtout de spécialistes, tels que des cardiologues, urologues, chirurgiens…
Appeler le 15
Pour ne pas surcharger ces services, les Agences régionales de santé et les Centres hospitaliers rappellent régulièrement les bons réflexes. « Pour les urgences vitales, la question ne se pose pas, mais en journée, il faut d’abord penser à consulter son médecin traitant ou un médecin de ville. S’ils ne sont pas joignables, alors il faut appeler le 15, c’est-à-dire le Samu qui aide à diriger vers le service le mieux adapté », indique Yannick Broust, médecin en Martinique, qui admet ne plus reconnaître son métier, tant les conditions de travail et les comportements ont changé. Selon lui, il y a un véritable travail de « rééducation » des bons comportements.
Reconversions
Trop souvent, les urgentistes sont sollicités pour des demandes inappropriées. « On nous réclame un certificat de sport, un arrêt maladie, ou un renouvellement d’ordonnance », raconte le médecin, qui tente lorsque cela est possible de faire de la pédagogie, malgré le manque de temps. Car beaucoup de patients oublient le rôle premier de ce service d’urgence pourtant bien nommé. « Si on reconnaît des imperfections de notre côté, on reste souple, on reçoit les gens, mais on a l’impression que cela devient une habitude, et même nous, on oublie ce qu’est un service d’urgences, parce qu’on accepte beaucoup trop de choses », constate le Dr Yannick Broust. Comme son confrère, Jean-Marc Pujo déplore cette atmosphère délétère, grandissante depuis un certain nombre d’années et qui participe aux départs ou à la reconversion de certains professionnels. Déjà fatigués par un système de soins en crise, les urgentistes appellent à plus de respect et, surtout, plus de bienveillance.
Les 5 classifications cliniques des malades aux urgences (CCMU)
Au service des urgences, les médecins gèrent en priorité les classification 5, 4 et 3.
1. L’état clinique jugé stable. Une otite, par exemple.
2. L’état lésionnel avec un pronostic fonctionnel stable. Comme un traumatisme nécessitant une radio.
3. L’état lésionnel avec un pronostic fonctionnel pouvant s’aggraver, type douleur abdominale avec fièvre, nécessitant un bilan en biologie et en radiologie.
4. L’état engageant le pronostic vital sans nécessiter de gestes de réanimation immédiat, tel qu’un infarctus du myocarde.
5. L’état avec pronostic vital engagé. Prise en charge comportant la pratique immédiate de manœuvres de réanimation, comme un état de choc ou arrêt cardiaque.
Par Bénédicte Jourdier